Les usages des TIC par les personnes en situation de "disqualification sociale" dans les EPN de la région Bretagne. Session 4 "E-inclusion " du séminaire M@rsouin.

, par Mickael Le Mentec

En quoi les usages des TIC dans les espaces publics numériques (EPN) de la région Bretagne par

les personnes en situation de « disqualification sociale » (Serge Paugam, 1991) participent à leur

insertion sociale et professionnelle ?

Cette recherche, financée par le conseil régional de Bretagne,

fait l’objet d’une thèse en sciences de l’éducation.

Le dispositif « Cybercommune » lancé en 1998 par le conseil régional a permis l’implantation de

près de 400 espaces publics numériques sur l’ensemble du territoire breton. L’objectif était de

permettre l’accès et la sensibilisation de tous les publics aux technologies de l’information et de la

communication (TIC), afin de lutter en autres contre la « fracture numérique » et réduire ainsi les

inégalités pressenties par l’introduction massive des technologies dans la société. Après deux

enquêtes quantitatives menée par le GIS M@rsouin sur le dispositif en 2003 et 2005, la région a

souhaité porter une attention particulière sur l’efficacité de ces espaces d’accès public à l’Internet

dans l’accueil et l’accompagnement des personnes en situation d’exclusion. Il n’est pas question

d’envisager uniquement les usages des TIC du point de vue de l’accès ou du non accès aux

ressources technologiques, mais d’étudier quelles relations les personnes ciblées entretiennent avec

les structures qui mettent en place des actions autour des TIC.

Les espaces publics numériques sont aujourd’hui à un tournant au niveau de leurs missions. Les

individus sont de plus en plus sollicités sur la toile, s’équipent et maîtrisent de mieux en mieux les

outils, les services en ligne se développent également. Les EPN se dirigent par conséquent

davantage vers des missions d’accompagnement afin de répondre au plus près aux besoins et aux

demandes des publics accueillis. Dans le domaine de l’insertion et du retour à l’emploi, les

technologies de l’information et de la communication se sont largement développées ces dernières

années. Aujourd’hui, l’inscription en tant que demandeur d’emploi s’effectue via le portail de

l’ANPE, plus de 80% des offres d’emploi sont accessibles via l’Internet et les annonces papiers ont

en grande partie disparues. Il existe donc une vraie spécificité « TIC » dans le domaine de l’insertion et du retour à l’emploi. Le non-usage des TIC pourrait handicaper certaines personnes

dans leurs parcours d’insertion, dans un domaine où le lien social avec les conseillers et/ou

travailleurs sociaux, les temps de discussion pour exposer sa situation personnelle disparaissent peu

à peu au profit d’une relation médiatisée par les TIC. Les discours politiques, orientés sur un objectif

de numérisation massive dans le but de fluidifier les démarches entre demandeurs d’emploi et

conseillers ont omis la dimension de l’accompagnement dans l’appropriation des technologies.

Même si dans certaines ANPE quelques professionnels proposent des séances d’initiation, les

activités d’aide à l’insertion professionnelle centrées sur les TIC restent rares. Les espaces publics

numériques ont par conséquent un rôle à jouer dans ce processus. Le fait qu’ils soient de plus en

plus nombreux à s’implanter dans les maisons de l’emploi, que certaines structures travaillent en

partenariat avec l’ANPE interroge sur les notions d’accompagnement ainsi que sur les activités

proposées au profit des usagers pour leur permettre de retrouver une place « reconnue » dans la

société.

Mais de quel type d’exclusion parlons-nous, de l’exclusion numérique ? de l’exclusion

sociale ? la notion d’exclusion est vague et difficile à définir tant elle prend des formes différentes

selon les époques et les sociétés. De plus, on peut se poser la question de savoir à partir de quel

moment une personne fait l’objet d’une exclusion... Nous sommes tous plus ou moins exclu d’un

groupe, d’un mode de vie, d’une pratique sociale, etc. En ce sens, la recherche porte un intérêt

particulier à identifier s’il existe des corrélations entre exclusion numérique et exclusion sociale et si

oui, de quelle nature. Pour identifier le public à observer dans les espaces publics numériques, j’ai

choisi de me centrer sur le concept de la « disqualification sociale » (Serge Paugam, 1991), qui

caractérise les processus de refoulement hors de la sphère productive de certaines populations.

A

travers des entretiens menés au milieu des années 80, Serge Paugam a catégorisé 3 types de

« disqualifiés sociaux » selon les relations qu’ils entretenaient avec les services d’action sociale : les

« fragiles », les « assistés » et les « marginaux ». Ces trois types de publics se retrouvent dans les

68% d’animateurs d’espaces publics numériques qui déclarent accueillir des demandeurs d’emploi

(enquête M@rsouin, mars 2008). A travers les enquêtes quantitatives et entretiens qualitatifs menés,

l’objectif est donc d’étudier les processus d’inclusion numérique et d’insertion sociale et

professionnelle à travers deux entrées. La première par le dispositif « Cybercommune », afin

d’observer comment s’intègrent les EPN dans les dispositifs « classiques » d’insertion et de

déterminer quelle(s) réponse(s) ils donnent en matière de lutte contre l’exclusion numérique et

sociale. La seconde entrée orientée « public » permettra d’identifier quelles relations entretiennent

les usagers avec les espaces publics numériques, en recueillant leurs motivations, en les interrogeant

sur les représentations qu’ils ont des TIC ainsi que sur leurs usages, mais aussi sur ce que la

fréquentation de l’espace peut générer en terme de lien social. Restaurer le lien social entre les individus serait aujourd’hui un rempart contre l’exclusion sociale, toujours selon Serge Paugam...

Une enquête quantitative a été menée entre novembre 2007 et mars 2008 auprès de 164 espaces

publics numériques qui m’a permis d’établir une cartographie des espaces mais aussi d’avoir un

panorama de l’état de l’accès public à l’Internet en Bretagne. De décembre 2008 à mars 2009, une

série de 29 entretiens auprès de publics répondant aux trois catégories de personnes du concept de la

« disqualification sociale » a été menée, dans des EPN de nature et de fonctionnement différents

afin de rendre compte de l’étendue du réseau et des pratiques émergentes. L’analyse des entretiens

est en cours, la soutenance de la thèse est prévue pour décembre 2009.