La « fracture numérique » sépare ceux qui accèdent à Internet, et ceux qui ne le font pas. Selon Mediametrie, ils étaient, en Juin 2008, 42% des plus de 11ans à ne pas s’être connecté à Internet dans le mois précédant l’enquête. Dans le « Panorama des usages des TIC en Bretagne » de 2005, nous en avions identifié 47% dans notre région, qui manifestaient une absence d’usage de l’Internet durant l’année précédant l’enquête.
Délibéré ou pas, le « non usage » est donc une réalité profonde. En évitant les jugements de valeur implicites que recèle le terme de « fracture numérique », M@rsouin a cherché à donner une image statistique aussi précise que possible de ces « non usagers ».
Résultats
L’enquête M@rsouin « Résidentiels 2008 », sondage auprès de 2000 individus résidant en Bretagne datant de Juillet 2008, montre que cette fracture numérique, toujours présente, revêt des situations de non usage de l’ordinateur et d’Internet extrêmement différentes. De la personne âgée, peu technophile à la base, qui n’a pas envisagé l’utilité d’Internet pour son propre cas, à la personne plus jeune, qui peut pourtant avoir un niveau d’étude équivalent au bac, et qui a choisi de ne pas y consacrer son temps, en passant par celle qui n’est pas à l’aise avec l’écrit. Situations qu’il est intéressant d’analyser du point de vue du niveau d’information et du niveau de motivation.
L’exploitation de cette enquête revient sur les facteurs de non adoption et souligne, à la suite d’autres, l’importance de l’environnement en remarquant que les non-usagers évoluent à la fois dans des foyers peu équipés en technologies et dans une sphère où leur entourage est souvent lui aussi pas ou peu utilisateur. On y constate malgré tout qu’un quart des non usagers a déjà fait appel à son entourage pour rechercher des informations, faire une déclaration d’impôts, envoyer un courrier électronique par exemple. Ainsi, leurs proches, plus souvent qu’un professionnel, jouent le rôle de « proxy » ou de médiateurs d’usages.
L’enquête participe également à une meilleure compréhension des non usagers en tentant de recueillir des informations comme les freins et motivations, les points de vue et représentations. Un exercice difficile quand on souhaite ne pas aborder le non usage par l’usage, surtout que par définition ce non usage n’existe pas. Comme le souligne le sociologue Lenhart, « concernant la méthodologie, il y a une réelle difficulté à faire parler les individus à propos de quelque chose qu’ils ne font pas et de les faire s’exprimer sur les raisons pour lesquelles ils ne font pas »[ Lenhart et al, 2003, p.10].
méthodologie : Les résultats exposés dans cet article font suite à un travail depuis plusieurs années sur la thématique du non usage. Déjà en 2005, les équipes de M@rsouin proposaient dans leur « Panorama 2005 des usages des TIC en Bretagne » des profils de non internautes à partir des 47% de Bretons qui n’avaient pas utilisé Internet au cours de l’année précédente. Par la suite en 2007-2008 nous avons mis en œuvre une enquête accomplie sous la forme d’une enquête participative dans la zone urbaine sensible de Kérourien à Brest, pour mieux impliquer les non-usagers [1]. Le choix de l’enquête participative, c’est-à-dire, impliquant des habitants du quartier - usagers et non-usagers - à destination exclusive des non-usagers, visait à contourner la difficulté de l’approche en associant les habitants d’un quartier à l’enquête elle- même. Ainsi, le projet permettait de récolter des informations sur les non-usages et les limites à la diffusion des technologies de l’information et de la communication (TIC) tout en tenant compte de la perception de la problématique et des pistes de travail des habitants.
1. Qu’entend-on par non usage ?
A priori un non utilisateur d’Internet ou « non internaute » ne se sert jamais d’Internet. Mais à côté d’individus qui n’ont jamais « touché » à Internet, il en existe d’autres qui par le passé, l’ont utilisé, mais ne le font plus du tout, souvent surnommés les « drop-out ». D’autres cas, rencontrés par M@rsouin sur le terrain, sont plus complexes : ainsi la mère de famille qui communique avec les siens restés au pays par le biais d’un ordinateur équipé d’une webcam et de Skype, et déclare ne pas se servir d’un ordinateur ni d’Internet car c’est sa fille qui fait toute la procédure d’installation ; l’autre mère de famille qui est capable de décrire la procédure exacte pour télécharger films et musiques et qui n’a jamais touché un ordinateur parce que son mari le lui interdit ; la personne qui se déclare utilisatrice mais dont c’est en réalité le mari ou les enfants qui effectuent les recherches quand elle en a besoin....Qu’en est-il de l’utilisateur occasionnel, ayant une fréquence d’usage d’une à deux fois par an ? Ce dernier peut-il vraiment être considéré comme utilisateur ? Il existe ainsi des formes multiples de non-utilisation faisant référence à l’irrégularité, à la faible durée de connexion, au niveau réduit de connaissance, à l’absence d’autonomie.... Vis à vis de chacune de ces rubriques, le choix de la frontière peut conditionner l’appartenance aux usagers ou aux non-usagers.
Par la suite et pour toutes les statistiques évoquées, nous fixerons les non-utilisateurs comme des individus qui n’ont jamais eu de contacts avec la technologie informatique, ou ceux qui déclarent ne pas s’être servi d’un ordinateur dans les trois derniers mois (leur usage n’est donc pas régulier). Dans l’enquête Résidentiels de M@rsouin de juillet 2008 (2000 réponses représentatives), ceux-ci représentent un tiers (32%) de la population des individus de 15 ans et plus résidant en Bretagne, population de taille significative. Rares sont les cas avec expérience : 2 non usagers sur 10 seulement, ont déjà eu un contact avec l’informatique, le dernier contact remontant à plus d’un an dans 75% des cas.
2. Qui sont les non usagers ?
A priori, certaines caractéristiques socio - démographiques, socio - économiques déterminent le non usage. Des facteurs personnels (âge, sexe, profession ,...) ou liés au foyer (catégorie socio-professionnelle du chef de famille, présence d’enfants, revenus ...) influent sur la décision de rejet ou d’adoption d’Internet.
En inversant les résultats sur les caractéristiques des usagers, on obtient, en creux, celles des non usagers. C’est ce que montre le graphique ci-dessous. Il présente les écarts à la moyenne (en points) selon les seules variables socio-économiques déterminantes dans le non usage. Sur la partie gauche on retrouve les catégories présentant un taux de non utilisateurs plus important que les 32% moyen qui ont été observés : ainsi par exemple, les personnes dont l’entourage utilise très peu Internet sont sur-représentées dans l’ensemble des non usagers. Il en est de même de celles qui disposent de moins de 1000 € par mois.
Il n’est pas surprenant de retrouver l’âge parmi les déterminants du rejet d’Internet ; la tranche d’âge apparaît même, dans les statistiques, comme la plus révélatrice « toutes choses égales par ailleurs » [2] du non usage. Ceci s’illustre aussi à travers :
– l’allure exponentielle de la courbe représentant le taux de non utilisateurs en fonction de l’âge (graphique 2),
– la différence entre le diagramme circulaire représentant la répartition par tranche d’âge de la totalité des interviewés et celui représentant celle des non utilisateurs (graphique 3).
Après l’âge, apparaissent des facteurs comme le « score de vie sociale » [3] , le niveau d’études, la présence d’enfants dans le foyer, la proportion d’utilisateurs d’Internet dans l’entourage et la tranche de revenus du foyer.
La fracture numérique va de pair avec la fracture sociale : la probabilité qu’un individu au score de vie sociale élevé se révèle être internaute est forte. A l’inverse, 55% des non usagers ont une vie sociale moins développée que celle des internautes, auxquels s’ajoutent 24% d’individus ayant une vie sociale peu développée, tandis que 5% des non usagers ont une vie sociale très développée.
Le diplôme engendre des différences tout aussi sensibles. Par exemple un individu sans diplôme ou avec seulement le BEPC a 6.5 fois plus de chances d’être non utilisateur qu’un individu ayant fait des études supérieures [4] . Moins d’une personne non diplômée sur trois peut être qualifiée ’d’internaute’, alors que 92% des diplômés de l’enseignement supérieur surfent sur Internet d’une façon ou d’une autre.
Signalons malgré tout que sur 100 non usagers il y en a 15 diplômés du supérieur.
La présence d’enfants dans le foyer est toujours, comme en 2005, déterminante dans une démarche vers Internet, même si les enfants peuvent à la fois jouer le rôle de prescripteur, en aidant leurs parents à utiliser les outils du web, ou au contraire de censeur en les excluant par des comportements ou des pratiques discriminantes.
Notons que si les femmes sont un peu moins utilisatrices (67% contre 70%), cette différence n’est pas statistiquement significative. Il en est de même pour :
– la catégorie socio-professionnelle (provoquant des différences de taux d’internautes déjà exprimées par les effets revenus et diplôme)
– et la taille d’unité urbaine.
La situation a évolué depuis 2005 où ces différences étaient encore importantes.
3.Quelles sont les diverses facettes du non usage ?
Après en avoir fixé les frontières et caractéristiques, tentons d’en explorer les différents visages. Nous avons utilisé pour cela des techniques statistiques d’analyse multivariée des données qui nous ont permis d’établir une typologie des non usagers. Elle révèle que même au sein des non utilisateurs il existe une « fracture numérique », liée au degré de connaissance et de motivation. 5 profils-types se sont distingués.
Nous trouvons, parmi les non usagers, une grosse minorité (41%) qui est bien informée, mais peu motivée. Ce sont vraisemblablement des réticents. 24% (19+ 5) est bien informée et plus motivée et serait donc prête à quitter ce statut de non usager. La minorité (5%) est sans doute composée de futurs utilisateurs, tandis que l’autre groupe (19%), moins motivé représente la catégorie des utilisateurs potentiels. A l’inverse 35% des non utilisateurs (16+19) est mal informée, et pas du tout motivée. La première catégorie (16%) est composée de réfractaires, l’autre (19%) d’exclus pour des raisons objectives (âge, statut, maladie...) ou subjectives (crainte).
Cette typologie montre la variété des comportements de non usage. Elle se justifie par les deux tableaux ci dessous : Le premier met en évidence les réponses de chaque groupe aux questions liées à la motivation et au degré de connaissance d’Internet. Ce tableau explique , en quelque sorte, les dénominations que nous avons donné aux groupes. Le second tableau rassemble quelques caractéristiques socio-économiques et d’équipement qui peuvent éclairer les raisons du non usage. On voit par exemple que les réticents, la classe la plus nombreuse, est peu équipée, a peu de temps à consacrer et une vision plutôt négative d’Internet, mais en connaissent les usages.
Méthodologie Les non usagers ont été regroupés en fonction de leurs proximités selon les réponses à des questions d’implication (intention d’usage, perception de l’utilité d’Internet, expérience, représentation des usages et implication de l’entourage). Méthodologiquement parlant, chaque classe d’individus constituée présente une différence intra-classe (au sein d’une même classe) minimalisée, donc de nombreuses caractéristiques communes ; tout en maximisant la différence inter-classes.
Les questions d’opinions sur Internet, de raisons de non usage, d’utilisation d’Internet par l’entourage, en plus de données personnelles ou du foyer classiques (âge, CSP, tranche de revenus ...) sont venues par la suite caractériser ces classes. On pouvait alors établir une sorte de ‘profil type’ présentant une proportion observée pour chaque caractéristique supérieure à la moyenne.Le nombre de sous échantillons n’était pas fixé au départ mais plutôt construit selon un découpage optimal. A chaque groupe obtenu, on pouvait associer un poids fonction du nombre de non usagers dans ce cas.
Le tableau qui suit reprend pour chaque groupe les réponses en terme de motivation et d’information.
La motivation était à la fois mesurée à travers :
– la projection d’usage relevée par leur réponse à la question « Avez-vous l’intention d’utiliser un jour Internet ? »
– la perception de l’utilité d’Internet dans leur cas, réponse à la question « Même si vous n’utilisez pas Internet régulièrement, diriez-vous qu’Internet pourrait vous être utile ? », réponse à la question « Avez-vous demandé dans les 3 derniers mois à quelqu’un de faire quelque chose sur Internet à votre place ? Par exemple, rechercher des informations, faire une déclaration d’impôts, envoyer un courrier électronique. »
Tandis que l’information était relevée à travers :
– une première expérience, on savait si au-delà des 3 deniers mois le non utilisateur avait déjà utilisé personnellement un ordinateur
– sa représentation des usages d’Internet, le score d’usages connus à partir d’une liste de « choses que l’on peut faire avec un ordinateur et Internet.
Poids | 5% | 19% | 41% | 16% | 18% |
Modalités constituant les classes | - Usage futur : « Oui, certainement dans l’année » (100%) - Utilité d’Internet : « très utile » - Représentations : connaissent « presque tous les usages » - Expérience : 30% ont déjà utilisé |
- Usage futur : « Oui, probablement » (91%) - Utilité d’Internet : « peu utile » - Représentations :connaissent « presque tous les usages » - Expérience : la moitié ont déjà utilisé |
- Usage futur : « Non, probablement pas » (30%) et « Non, certainement pas » (70%) - Utilité d’Internet : « pas utile » -Représentations : connaissent « pas mal d’usages » - Expérience : 87% n’ont jamais utilisé, 41% ont déjà demandé à leur entourage |
- Usage futur : « Non, certainement pas » (76%) - Utilité d’Internet : « pas du tout utile » - Représentations : connaissent « quelques usages » - Expérience : 94% n’ont jamais utilisé |
- Usage futur : « Non, certainement pas » (91%) - Utilité d’Internet : « pas du tout utile » - Représentations : ne connaissent « aucun usage » - Expérience : 98% n’ont jamais utilisé |
Tableau 1 - Les 5 profils de non utilisateurs
En plus de ces différences, les 5 profils obtenus présentent également des divergences au niveau de leurs « données TIC » (opinions sur Internet, raisons de non usage, environnement technologie, usage du réseau social) et de leurs données personnelles, individuelles ou foyer (tranche d’âge, ancienne catégorie socio-professionnelle, revenus ...).
Poids | 5% | 19% | 41% | 16% | 18% |
Caractéristiques TIC sur-représentées | * Equipement foyer :ordinateur à domicile (46%), diversifié en technologies * Usage : mobile (61%) * Raison évoquée : manque de temps plutôt que manque d’intérêt pour la technologie * Entourage : Usage d’Internet pour la plupart |
* Equipement foyer :ordinateur à domicile (39%), diversifié en technologies (moyen à fort) * Usage : appareil photo numérique, mobile * Raisons évoquées : pas lié à l’âge ou un problème de santé * Opinions sur Internet : n’est pas exclusivement pour les jeunes, les gens qui travaillent *Entourage : Usage d’Internet pour la plupart |
* Equipement foyer :nombre faible de technologies * Raisons évoquées : peu en nombre, principalement manque de temps et problème de santé * Opinions sur Internet : abolit les distances, détruit les liens familiaux et avec les autres * Entourage : Usage d’Internet pour un bon nombre |
* Equipement foyer : très faible * Raisons évoquées : âge, santé, manque d’intérêt pour la technologie, peur de ne pas arriver à l’utiliser * Opinion sur Internet : pour les jeunes |
* Equipement foyer : très faible * Raisons évoquées : âge, santé, mauvaise maîtrise de la langue écrite, peur de ne pas arriver à l’utiliser, coût, peur de ne pas savoir faire face à des incidents techniques * Opinions sur Internet : ne savent pas si Internet détruit les liens ou abolit les distances, Internet fonctionne mal |
Caractéristiques socio - démographiques sur-représentées | Moins de 45 ans, habitants d’une grande ville, actifs, peu de temps libre, tranches élevées de revenus, employés | Actifs, foyers avec enfants (adolescents), de 3 personnes et plus, moins de 45 ans, 45-59 ans, tranches élevées de revenus, ouvriers, employés, niveaux de diplôme bac et plus | Beaucoup de temps libre, sans enfants, revenus moyens, 70 - 75 ans, anciens CSP aisées | Habitants des unités urbaines de 10.000 à 49.999 habitants, retraités, niveaux de diplôme BEPC, sans enfants, moyennement de temps libre | Faibles revenus, 76 ans et plus, retraités, anciens CSP modestes, peu d’activités sociales, personnes seules, sans diplômes ou titulaires d’un BEPC, habitants d’une zone rurale |
Si pour certains non utilisateurs, il n’y a pas lieu de les informer en matière d’usages d’Internet, pour d’autres cela peut représenter le point de départ d’une amorce de politique de réduction de la fracture numérique. Aussi, dans la partie qui suit, nous nous proposons de revenir sur les comportements, attitudes et représentations à travers lesquels le non usager construit sa non-pratique, tout comme l’usager construit sa pratique.
4. Que cache le non usage ?
Des isolés numériques
Toujours à la recherche des facteurs de rejet ou de décision d’adoption d’Internet, nous nous sommes interrogés sur le rôle de l’environnement, à la fois technologique et social.
L’environnement technologique dans lequel évolue les non - usagers est-il déterminant dans l’adoption des usages d’Internet ? Plus précisément, est ce que si l’environnement est technophile, les probabilités d’être utilisateurs sont-elles plus grandes ? De même, sont-elles plus grandes si dans l’entourage une forte proportion de personnes utilisent Internet ?
Sûrement en raison des différences méthodologiques (un territoire d’enquête plus large, un mode de recueil plus classique), cette enquête révèle des résultats tout autres que ceux de Kérourien où les non-usagers n’évoluaient pas nécessairement dans un environnement dénué de technologies (59 % des répondants disposaient d’un ordinateur dans le foyer et 49 % d’une connexion Internet, taux proches des moyennes observées).
Ici, premier indicateur d’isolement numérique : le faible équipement technologique du foyer.
Si la moyenne des foyers équipés d’au moins un ordinateur est de presque 6 technologies (sur une liste de 12 technologies proposées), elle n’est plus que d’à peine 1.5 pour les non équipés. Surtout que 83% des non-usagers de l’informatique vivent dans un foyer non équipé en ordinateur.
Second indicateur : le non usage absolu. 81% de nos non-usagers n’ont jamais utilisé un ordinateur. 72% des rares individus qui ont un ordinateur dans leur foyer n’y ont jamais touché.
En plus de la présence d’un environnement social propice à la découverte des objets techniques par leur présence et leur pratique, l’entourage joue également un rôle pouvant servir de ressource ou participer à la construction des expériences nouvelles. Or, chez les non-usagers, l’absence d’usages de l’Internet dans l’entourage est décisive.
Ceci est vrai au niveau du foyer : un quart seulement des non usagers (ne vivant pas seuls) cohabitent avec au moins un utilisateur (un conjoint, un ou des enfants, une autre personne du foyer). Mais c’est également valable pour la famille, les amis, les voisins (connus). Ils ne sont alors que 17% à déclarer un usage de la part de la plupart des personnes fréquentées (contre 57% pour les internautes).
Même si les non usagers sont en moyenne plus isolés, certains font appel à des proxies , aussi appelés dans la littérature des ‘passeurs’ ou ‘infomédiaires’. C’est le cas de 21% de notre échantillon. Signalons que le fait de faire faire, signifie déjà une connaissance, plus ou moins avancée, de ce qu’il est possible de faire, contrairement aux personnes qui ne possèdent même pas cette connaissance-là. 34% d’entre eux cherchent de l’aide au sein même du foyer, 65% au sein de la famille, 15% demandent à leurs amis, alors que seulement 2% d’entre eux vont s’adresser à un professionnel. Par contre, un entourage actif, utilisant Internet à la place de nos non-utilisateurs sans que celui-ci le demande, reste un phénomène davantage marginal (12% des déclarations).
Une non utilisation justifiée
Nombreuses sont les raisons évoquées pour ne pas utiliser l’informatique. Les recueillir à travers un questionnaire quantitatif n’est pas aisé. Il faut en premier lieu effectuer un travail de pré-listage. Tout en laissant la porte ouverte aux autres raisons pour lesquelles la recodification est souvent compliquée. Il faut prendre en compte qu’un même individu peut avoir plusieurs raisons mais à des degrés variés (« je suis âgé et de toutes les façons je n’aime pas trop la technologie »). Classer les raisons est un exercice qui se révèle souvent pas vraiment intéressant dans le sens où certaines raisons peuvent ne pas être du tout adaptées. Nous avons donc opté pour le positionnement de l’interviewé par rapport à certaines raisons sur une échelle de réponses allant de « tout à fait mon cas » à « pas du tout mon cas ». Comme exprimé dans le graphique suivant, l’ensemble des non-utilisateurs justifient davantage leur non-utilisation d’Internet par leur manque d’intérêt pour celui-ci, leur manque de compétences techniques ou leur âge, que par un problème de santé, le manque de temps ou une mauvaise maîtrise de la langue écrite. Insistons sur le fait que si statistiquement la prééminence de l’écrit dans la pratique d’Internet ne semble pas représenter un obstacle répandu, il peut devenir important par exemple pour des personnes appartenant à des cultures linguistiques minoritaires ou des personnes analphabètes. Internet, par opposition au téléphone mobile, est une technologie davantage reliée à l’écrit. D’autant plus que l’usage du clavier en lui-même n’est pas toujours facile. Sur Kérourien, nous avons rencontré un jeune non utilisateur très à l’aise avec son mobile et les sms refusant le clavier et sa disposition AZERTY.
Même si il n’arrive qu’en cinquième position alors que dans l’enquête Kérourien (quartier constitué majoritairement d’habitat social) c’était la raison la plus incriminée, revenons sur le coût. La capacité financière d’accès à la technologie à domicile ne se réduit pas au simple achat de l’ordinateur. Il faut également prendre en compte l’achat de logiciels, le coût lié à la maintenance, voire à l’accès à une formation. La connexion à Internet à elle seule représente un coût non négligeable et reconduit : tous les mois le ménage doit payer son abonnement. Ainsi, le coût pour les ménages modestes ou non (il peut tout aussi bien paraître élevé compte tenu d’autres postes de dépenses considérés comme prioritaires) est toujours un frein. Frein d’autant plus important quand on sait que l’usage dans les espaces publics numériques n’est la plupart du temps que complémentaire à celui effectué dans d’autres lieux [5].
6 non utilisateurs sur 10 pensent ne jamais s’y mettre du tout, 2 sur 10 ne s’y mettront probablement pas.
Revenons sur ces faibles proportions d’intention d’usage et ce qu’elles cachent. Un individu n’envisagera utiliser Internet que si il se rend compte de ce qu’il peut faire avec.
Ne pas savoir à quoi cela peut servir est la raison évoquée le plus souvent par les personnes qui n’utilisent pas les outils multimédias. Ne connaissant pas l’informatique, les personnes n’imaginent pas ce qu’il est possible de faire et donc n’y voient pas d’intérêt. Dès lors que l’objet reste abstrait pour elles, les personnes n’en ressentent pas le besoin, elles s’imaginent qu’il est difficile d’accès et, de plus, qu’il nécessite des compétences particulières.
Ainsi, tout comme des peurs ou des expériences malheureuses (cas finalement assez rares), une ’conception erronée’ d’Internet peut représenter un obstacle majeur. Pourtant, d’après les statistiques sur l’ensembles des non usagers, on ne peut plus avancer que c’est par méconnaissance d’Internet et de ses services que l’usage d’Internet est généralement freiné. Le temps est maintenant révolu où les plus âgés avaient une vision bien écornée d’Internet comme lieu de jeux pour les jeunes. Les usages aussi bien utilitaires comme la réalisation de déclarations administratives que relevant du loisir comme le fait de jouer, sont connus par bien plus de la moitié des non utilisateurs. Même la communication avec des gens qu’on ne connaît pas (dans notre langage d’internaute des ‘amis virtuels’) est maintenant vulgarisée. Le palmarès revient au commerce électronique (connu à 71%) , à la recherche d’informations (69%) et aux déclarations administratives (68%). En fin de liste on retrouve des usages comme l’écoute de la radio ou de la télévision, la location de films.
Ensuite, un individu pour qui les usages sont établis doit se les approprier. Finalement d’après ce que je connais d’Internet, Internet pourrait-il m’être utile ? A la question, « même si vous n’utilisez pas Internet régulièrement, diriez-vous qu’Internet pourrait vous être utile ? », les avis sont assez partagés. Comme attendu, le « pas du tout utile » prédomine, avec un peu plus d’un tiers des suffrages.
Par contre, comme le montre le graphique qui suit, il n’est pas étonnant de retrouver une bonne partie des « futurs utilisateurs » parmi ceux qui sont convaincus de l’utilité d’Internet.
Des opinions marquées quant à Internet
Ne pas utiliser ne signifie pas ne pas avoir d’opinion sur le sujet Internet. Parmi les opinions sur Internet, celles qui contribuent le plus à lui faire une mauvaise presse sont sa représentation comme étant un simple phénomène de mode (55% de sous total d’accord) ou réservé aux jeunes (50%). A l’opposé, les problèmes de fonctionnement pouvant exister ne semblent pas effrayer les non utilisateurs. Notons, toutefois un taux important d’interviewés ne sachant pas se positionner. Internet est également plutôt perçu comme abolissant les distances (57%).
Opinions des Bretons non-utilisateurs : Internet ... | Tout a fait d’accord(en %) | Plutôt d’accord(en %) | Plutôt pas d’accord(en %) | Pas du tout d’accord(en %) | Ne sait pas(en %) |
Abolit les distances | 20 | 37 | 23 | 9 | 11 |
Est surtout pour les jeunes | 18 | 32 | 30 | 18 | 2 |
Est un phénomène de mode | 16 | 39 | 28 | 13 | 4 |
Est surtout pour les gens au travail | 13 | 36 | 34 | 14 | 3 |
Détruit les liens familiaux, les liens avec les autres | 11 | 32 | 33 | 14 | 10 |
Fonctionne mal | 1 | 12 | 44 | 20 | 23 |
Des visions d’Internet et des freins liés à l’âge
Si par exemple une personne âgée peut ne pas utiliser suite à un problème de santé rendant difficile l’usage de l’ordinateur (position ), une personne plus jeune et en meilleur état de santé peut, elle, ne pas l’utiliser trouvant Internet très consommateur en temps, temps qui peut être imparti à d’autres activités. Aussi, une analyse selon l’âge de l’individu permet d’affiner la compréhension du non usage. Ainsi, le tableau qui suit reprend les opinions sur Internet et raisons de non usage selon deux tranches d’âge (« Moins de 60 ans » et « 60 ans et plus »). Les réponses sont classées selon que les deux tranches présentent des différences significatives ou des similarités d’attitudes. Ceci est possible car finalement, contrairement à ce qu’on pourrait penser, parmi les personnes interrogées il reste un effectif important de non utilisateurs jeunes (208 ont moins de 60 ans dont 74 moins de 45 ans, 25 moins de 35 ans). Et fait non négligeable, 25% de ces « jeunes » ont en poche le baccalauréat ou un niveau supérieur.
Thématiques | Non utilisateurs de moins de 60 ans | Non utilisateurs de 60 ans et plus | Non utilisateurs, quel que soit l’âge |
Opinions sur Internet ** : Les différences significatives proviennent du taux plus élevé de ‘ne sais pas’. Un positionnement plus difficile à exprimer peut-être lié au manque d’intérêt pour le sujet. |
* Internet est surtout pour les jeunes (pas d’accord) * Internet est surtout pour les gens au travail (pas d’accord) * Internet fonctionne mal (pas d’accord) * Internet est un phénomène de mode (pas d’accord) * Internet détruit les liens familiaux, les liens avec les autres (pas d’accord) * Internet abolit les distances (d’accord) |
* Internet est surtout pour les jeunes (d’accord) * Internet est surtout pour les gens au travail (d’accord) * Internet fonctionne mal (pas d’accord**) * Internet est un phénomène de mode (pas d’accord**,) * Internet détruit les liens familiaux, les liens avec les autres (pas d’accord**) * Internet abolit les distances (d’accord**) |
Raisons évoquées | * Le manque de temps | * L’âge * Un problème de santé * Le manque d’intérêt pour la technologie |
* le coût d’équipement et de connexion * Le manque de formation à l’utilisation, de compétences techniques * Une mauvaise maîtrise de la langue écrite * La peur de ne pas arriver à l’utiliser * La peur de ne pas savoir faire face à des incidents techniques |
Tableau 2 - Différences et similarités entre les non utilisateurs de moins de 60 ans et ceux de 60 ans et plus
Note de lecture : dans la colonne « non utilisateurs moins de 60 ans » sont reprises les caractéristiques pour lesquelles le taux de réponse des « jeunes » est nettement supérieur à celui des moins jeunes. Dans la dernière colonne les taux de réponse sont significativement équivalents quelle que soit la tranche d’âge.