[Rapport] L’impact des éléments informatifs de la photographie d’un candidat sur l’évaluation de son CV en ligne. Résultats

, par Nathalie Pichot, Nicolas Guéguen

CV en ligne, évaluation, recrutement, TIC.

L’utilisation des Technologies de l’Information et de la Communication (TIC) durant les différentes phases d’un recrutement n’est, aujourd’hui, plus à démontrer. Les travaux les concernant portent sur la perception que les candidats ont des sites dédiés à l’emploi, des batteries de tests informatisés... Peu de recherches se sont intéressées à l’impact des TIC sur l’évaluation des candidats à un poste. Celle-ci se fait essentiellement au travers du document que les postulants transmettent aux recruteurs : Leur Curriculum Vitae (CV). Les rares travaux le concernant établissent que les CV en ligne engendrent une meilleure évaluation que les mêmes CV présentés sur papier. Aucune étude n’a, à notre connaissance, traité de l’impact des informations contenues dans un CV en ligne sur l’activité évaluative. L’objectif du projet de recherche présenté ici, vise l’étude de l’une d’entre elles : la photographie du visage des candidats.

1er axe : l’impact de la symétrie sur le jugement personnologique.

Notre projet de recherche s’articulait autour de la valorisation physique d’un candidat en situation de recherche d’emploi en ligne par le truchement de la transformation numérique de certains paramètres de sa photo d’identité numérique jointe au CV.

Préalable théorique.

La symétrie physique qui caractérise une très faible disparité entre les caractéristiques à droite et à gauche du corps semble être associée à de nombreux avantages. On a ainsi montré que cela affecte le jugement esthétique. Ainsi, on sait que les visages composés par combinaison des faces (La même face de part et d’autre) sont préférés au visage normal (Langlois & Roggman, 1990). Dans une recherche fréquemment citée dans la littérature, Gangestad, Thornill et Yeo (1994) ont évalué le niveau d’asymétrie du visage d’étudiants et d’étudiantes à l’aide de 7 indicateurs (Largeur oreille, main, cheville,....) pris pour la partie gauche et droite des zones du corps concernées. Un rapport de la somme des différences permettait de calculer un indice de fluctuation de symétrie pour chacun des participants à l’étude. Ceux-ci étaient ensuite photographiés et leur attrait physique était évalué par la méthode des juges. Une mesure de l’âge et du poids des sujets avait également lieu ainsi qu’une évaluation des anomalies physiques mineures. Les chercheurs observeront que l’attrait physique des personnes augmentait d’autant plus que leur niveau de symétrie générale était important. Cela a été obtenu indépendamment de l’âge, de la taille, ou des anomalies physiques mineures. La symétrie est associée à plus de beauté mais, ici, la recherche est corrélationnelle et certains facteurs peuvent avoir été oubliés. Qu’obtient-on si on compare des visages parfaitement symétriques à des visages normaux ? Grammer et Thornill (1994) ont présenté des photos de femmes à des hommes. Selon le cas, celles-ci correspondaient à des photos réelles ou étaient des composites constitués de manière à rendre les faces absolument symétriques. L’homme devait évaluer la femme présentée sur la photo à l’aide de plusieurs échelles : attrait, dominance, caractère sexy, santé. Les résultats montreront que sur les dimensions de santé, attrait, caractère sexy les femmes avec photo numérique présentant un visage parfaitement symétrique ont été évaluées plus positivement. Dans le même temps, on leur a attribué moins de dominance (trait qui n’est pas un trait masculin).

Il semble donc que la symétrie des caractéristiques physiques des hommes et des femmes est un plus pour juger de l’attrait de la personne. La perfection gauche/droite semble même induire une préférence dans le choix du partenaire en montrant qu’il n’y a pas que le jugement de la beauté qui est affecté mais également d’autres traits comme l’intelligence, le leadership... (Grammer & Thornhill, 1994).

Expérience 1 : Symétrie faciale et CV.

L’objectif de cette expérience a été de transférer les résultats de ces travaux fortement axés sur l’évaluation de l’attrait physique vers l’analyse de dossiers d’emploi. Pour cela, on a mesuré l’effet de la construction d’une symétrie par retouche numérique sur l’attractivité d’un candidat à un emploi dont le CV a été mis en ligne. L’hypothèse était que toute chose étant égale par ailleurs, la symétrie induirait un intérêt accru auprès de l’évaluateur du CV et plus de probabilités d’être contacté par un recruteur potentiel. Nous avons également fait l’hypothèse qu’en fonction des traits valorisés dans un secteur d’activité, la symétrie pourrait exercer un impact plus marqué (Exemple la beauté physique pour un emploi de vendeur ou d’hôtesse d’accueil).

Des chargés de recrutement devaient évaluer des CV électroniques pour un poste d’ingénieur travaux publics ou pour un poste de chargé de communication pour un groupe de luxe. Dans tous les cas, le CV utilisé était un CV moyen c’est-à-dire que son contenu était tel que, d’emblée, un tel candidat ne pouvait pas être retenu ou exclu de la poursuite de l’évaluation. La photographie de la personne à évaluer était la même pour les deux CV mais, dans la moitié des cas, on avait retouché la photo de manière à réduire l’asymétrie gauche/droite du visage conformément à la méthodologie classique. Les recruteurs devaient examiner le CV et dire :

  1. s’ils envisageaient de convoquer la personne,
  1. avec quel degré d’adéquation le CV du candidat était en lien avec le profil du poste. Dans les deux cas, cela se faisait par le biais d’une échelle allant de 1 (faible probabilité) à 9 (forte probabilité).

Résultats de l’expérience 1.

Tableau 1 : moyenne de la probabilité de convoquer la personne à un entretien et de l’adéquation de son profil à l’emploi.

Poste Ingénieur travaux publics
Cible symétriqueCible normale
Convocation6.226.29
Adéquation5.966.11
Poste chargé communication
Cible symétriqueCible normale
Convocation7.516.07
Adéquation7.025.89

L’effet de la symétrie n’a opéré que dans le cas du poste de chargé de recrutement vraisemblablement en raison des enjeux de l’apparence dans ce domaine. On sait en effet que la symétrie accroît la perception de l’attrait physique de la personne. Or, cette variable est un atout pour ce type d’emploi.

2ème axe : L’impact des caractéristiques du visage socialement valorisées sur le jugement personnologique.

L’objectif de ce projet est de montrer, que comme la symétrie, l’attrait du visage peut constituer un indicateur du degré d’employabilité d’un individu. Il est constitué de deux expériences.

Préalable théorique.

Plusieurs recherches ont montré que l’attrait physique influence positivement la façon dont les individus sont évalués tant sur le plan personnel que sur le plan professionnel. Les personnes attirantes physiquement sont, au quotidien, perçues comme étant plus sociables, plus sympathiques, plus ouvertes d’esprit que les personnes moins attirantes (Dion, Bersheid & Walster, 1972 ; Ferrari & Swinkels, 1996 ; Zukerman, Miyake & Elkin, 1995). Elles sont également jugées comme étant plus performantes en situation professionnelle. Elles paraissent davantage capables d’assumer des responsabilités inhérentes à la prise de décision ou au management (Kalick, 1988) et leurs projets ou idées sont plus valorisés et mieux soutenus financièrement (Baron, Markman & Bollinger, 2006). Ces effets sont observés tant en ce qui concerne l’esthétique globale des individus (Leur physionomie) que celle de leur visage. L’apparence de ce dernier est considérée comme un élément informatif important affectant fortement les impressions formées à propos d’autrui. La question de son impact sur l’évaluation d’un candidat à l’embauche s’est donc très rapidement posée. Les données expérimentales recueillies en matière de recrutement indiquent que la photographie ou le portrait d’un chercheur d’emploi :

  1. induit des jugements différents en fonction de ses caractéristiques propres, porteuses de valorisations sociales. Parmi elles, on compte la forme du visage (Berry, 1991), le type de regard (Guéguen, 2007), le type de sourire (Godoy, Reyes-Garcia, Huanca, Tanner, Leonard, MacDade & Vadez, 2005), la coiffure, le port de la barbe ou de lunettes (Hellströms & Tekle, 1994) ;
  1. varie en fonction du niveau de qualification du candidat (élevé versus faible) et du degré de relationnel impliqué par le poste auquel il postule (fort versus faible). L’attrait du visage influence uniquement les jugements portés sur les candidats présentant un niveau de qualification plutôt faible dont le futur métier nécessite des compétences relationnelles importantes (Pansu & Dubois, 2002) ;
  1. varie en fonction de la qualité des CV(bonne versus acceptable ou moyenne). L’attrait du visage améliore l’évaluation du Curriculum Vitae auquel il est associé quand ce dernier est de qualité moyenne (Watkins & Johnston, 2000).

Ces travaux ont utilisé une procédure classique d’examen des CV. Ceux-ci ont été présentés aux populations expérimentales selon un format papier. Les résultats obtenus seraient-ils identiques si le mode de présentation des CV était informatisé ? Les données antérieurement recueillies (Guéguen & Pichot, 2007) ne laissent présager aucune différence d’évaluation des CV selon leur format de présentation : papier versus informatisé, si ce n’est par rapport à un poste induisant des compétences en informatique. Le candidat y postulant est ainsi mieux évalué quand son CV est diffusé selon un mode HTML que quand il est examiné dans sa version papier. Un effet de l’attrait du visage est donc attendu dans ces conditions expérimentales.

Expérience 2 : attrait du visage et mode de diffusion du CV.

L’objectif de cette expérience est de tester l’impact de l’attrait du visage sur l’évaluation d’un CV en fonction de son mode de diffusion : Papier versus informatisé.

La population expérimentale est composée de 64 étudiants en 1ère année de Gestion des Entreprises et des Administrations (GEA) de l’Institut Universitaire de Technologie (IUT) de Rennes. Ils ont tous suivi un enseignement relatif au processus de recrutement dans le cadre de leur Projet Professionnel Personnalisé (PPP).

Le matériel expérimental est, en premier lieu, composé de deux portraits de candidats de sexe masculin préalablement évalués comme étant attrayant versus peu attrayant. Ils ont été sélectionnés parmi 10 photographies : 5 hommes et 5 femmes, dont l’âge moyen est de 25 ans. Ces photographies présentaient un visage bien dégagé (Pas de cheveux longs), vu de face, le regard droit et sans sourire. Elles ont été retouchées numériquement pour homogénéiser le fond (Blanc), le cadrage, la luminosité, la qualité d’impression ou les vêtements aperçus (Classiques et sobres). Ces retouches ont, de plus, permis de gommer la présence d’accessoires (Boucles d’oreilles, piercings...). Ces portraits ont, ensuite, été aléatoirement présentés via un logiciel informatique à 118 étudiant(e)s en 2ème année GEA (IUT de Rennes). Ces derniers devaient juger de leur attrait physique ainsi que de leur adéquation à 12 traits de personnalité relevant, pour moitié, de la sphère professionnelle (Coopérant, consciencieux...) et, pour moitié, de la sphère privée (Sympathique, blagueur...). Les données recueillies établissent que : 1) Les femmes sont globalement perçues comme étant plus attrayantes que les hommes (Elles se différencient moins sur cette dimension) et 2) se voient attribuer davantage de traits de personnalité liés à la sphère privée qu’à la sphère professionnelle. Cette dernière dimension n’est pas sensible au sexe des sujets photographiés. Ces observations expliquent le choix de deux portraits masculins différents en ce qui concerne leur attrait et homogènes en ce qui concerne les traits de personnalité qu’ils suscitent. La similarité des inférences observées (Attributions de traits) à propos des portraits choisis est importante. Elle fait que l’un n’est pas, d’office, perçu comme étant employable et l’autre pas.

Le matériel expérimental est, en second lieu, composé d’un CV. Ce dernier peut être qualifié de classique de par sa présentation (Format Word) et son contenu. Il présente un jeune diplômé recherchant un premier emploi de développeur informatique (Création de sites Web...). Cette profession a été choisie car elle est en lien avec les Technologies de l’Information et de la Communication (TIC) et qu’elle est, de ce fait, supposée favoriser une évaluation positive en condition informatisée (Guéguen & Pichot, 2007). Son niveau de qualification est moyen (Licence Professionnelle), ses expériences professionnelles regroupent deux stages et ses loisirs sont peu développés. Ce CV a été construit à partir de CV réels consultés sur Internet.

La procédure expérimentale était la suivante : les participants ont examiné le CV (Candidature spontanée) soit sur un support informatisé, soit sur un support papier. Ce CV était accompagné soit du portrait du candidat jugé attrayant, soit du portrait du candidat jugé peu attrayant. Les sujets devaient alors évaluer :

  1. la présentation du CV (Classique/agréable),
  1. chacune des rubriques développées dans le CV (État civil, formation... y compris la photographie),
  1. la probabilité d’être contacté par un employeur potentiel,
  1. la probabilité d’être embauché,
  1. la durée de chômage du candidat. .

Résultats de l’expérience 2

Les résultats obtenus ne mettent en évidence aucun effet de l’attrait du visage d’une part, et du format de présentation du CV d’autre part. Que le portrait soit attrayant ou pas et qu’il soit inclus dans un CV papier ou informatisé, les jugements basés sur les informations écrites qu’il contient ne se différencient pas. Il en est de même pour les estimations de probabilité (Contact, embauche) ou de durée (Chômage). Seuls, les jugements impliquant une représentation globale du CV (Son classicisme) ou le traitement des informations visuelles qu’il véhicule (La photographie du candidat), sont affectés par le degré d’attrait du visage du candidat ou les modes de diffusion du CV. Lorsque le CV est associé à un portrait attrayant, sa présentation générale ou sa forme est perçue comme étant plus classique (m = 7.75) en condition papier qu’en condition informatisée (m= 6.50). Lorsque le CV est présenté via un écran d’ordinateur, la photographie du candidat attrayant est alors mieux perçue (m = 7.81) que celle du candidat moins attrayant (m = 5.75).

Les quelques effets observés conduisent à penser que les informations contenues dans un CV seraient traitées différemment. Les contenus écrits seraient les plus pertinents et davantage utilisés pour produire une évaluation. Les contenus visuels ou plus globaux n’interviendraient que dans une moindre mesure et auraient des effets limités, d’où l’homogénéité des jugements émis à propos du CV proposé et ce, quel que soit son support : Papier versus informatisé, ou les portraits : Attrayant versus peu attrayant, qui lui sont associés.

Expérience 3 : attrait du visage et caractéristiques des emplois recherchés.

L’expérience 2 indique que l’attrait du visage ne joue pas sur la façon dont un CV, présentant un candidat qui évolue dans un secteur professionnel donné : Celui des TIC, est jugé. Les quelques travaux réalisés en matière d’évaluation de CV (Cf. l’expérience 1 ou les travaux théoriques précités) conduisent à penser que les caractéristiques du poste : les compétences spécifiques induites telles que les relationnelles... affectent l’activité de jugement.

L’objectif de cette étude est donc de vérifier que les propriétés intrinsèques du poste (Ici, son caractère socialement utile versus socialement désirable) peuvent conditionner l’intervention de facteurs tels que l’attrait physique sur l’évaluation d’une candidature.

La population expérimentale est composée de 115 étudiants en L1, L2 de psychologie à l’Université de Rennes 2. Ils ont tous suivi un enseignement psychosocial relatif au jugement personnologique et aux erreurs en ce domaine.

Le matériel expérimental est, comme pour l’expérience 2, composé des deux portraits : attrayant versus peu attrayant, de candidats de sexe masculin. Il regroupe aussi deux CV ayant, quant à leur présentation globale, les mêmes caractéristiques que celui utilisé dans le cadre de l’expérience 2 (Format Word...) Ces deux CV ont été construits de façon identique, à partir de CV réels consultés via des sites Web. Ils mettent également en avant un jeune diplômé recherchant un premier emploi mais dans des secteurs d’activité autres que celui des TIC. Les postes auxquels ils sont supposés candidater spontanément ont été choisis en fonction de critères psychosociaux inhérents à la valeur sociale des personnes ou des objets : leur aspect socialement utile versus socialement désirable (Le Barbenchon, Cambon & Lavigne, 2005). Une profession socialement utile est une profession reconnue comme participant pleinement au fonctionnement social et à sa pérennisation (Exemple : juriste ou chimiste). Une profession socialement désirable renvoie à une profession recherchée ou pas, voire ressentie comme plaisante ou déplaisante. Elle implique une profitabilité pour soi (Exemple : barman ou sportif). La profession socialement utile sélectionnée est celle d’assistant chimiste et la profession socialement désirable sélectionnée est celle d’éducateur sportif. On s’attend à un effet de l’attrait du visage sur l’évaluation du CV impliquant un poste socialement utile car ce qui est beau est socialement reconnu comme étant bien et utile (Tractinsky, Katz, & Ikar, 2000).

La procédure expérimentale était la suivante : les participants ont examiné un des CV via un vidéo projecteur. Ce CV était accompagné soit du portrait du candidat jugé attrayant, soit du portrait du candidat jugé peu attrayant. Les sujets devaient alors évaluer : 1) La présentation du CV (Classique/agréable), 2) chacune des rubriques développées dans le CV (État civil, formation... y compris la photographie), 3) la probabilité d’être contacté par un employeur potentiel, 4) la probabilité d’être embauché et 5) la durée de chômage du candidat. .

Résultats de l’expérience 3.

Les résultats obtenus montrent uniquement un effet de l’attrait du visage sur l’évaluation de la candidature du poste d’assistant chimiste (Socialement reconnu comme utile). Cet effet concerne autant la perception globale de la photographie et des rubriques du CV que la probabilité d’embauche (Cf. Le tableau ci-dessous).

Tableau 2 : notes ou probabilités moyennes attribuées pour un poste d’assistant chimiste.
Attrait plus
Attrait moins
Photographie (Note sur 10) 6.96 5.14
Rubriques CV (Note sur 50) 36.13 31.32
Proba. embauche (Sur 100 %) 64.32 56.33

L’attrait du visage, quand le poste est jugé socialement utile, influe essentiellement sur la façon dont sont évaluées les informations écrites contenues dans le CV.