Les éloignés du numérique

, par Fabien Collas, Pascal Plantard, Sandra Trébaol

Le numérique nous a-t-il aidé à bien vivre confinés ? C’est la question que se sont posée les chercheurs de Marsouin dans une enquête exceptionnelle intitulée « CAPUNI Crise » et réalisée pendant le premier confinement du printemps 2020. Une enquête qui fait écho à l’enquête individus CAPUNI 2019.
CAPUNI Crise est soutenue par la Région Bretagne et l’Agence Nationale de la Cohésion des Territoires, et a permis d’interroger 1501 Bretons (1001 individus représentatifs de la population bretonne et un échantillon spécifique de 500 individus vivant en zones rurales isolées).

Différents profils de connexion

Les internautes

88% des Bretons se sont déclarés internautes [1] pendant le premier confinement. Lors de l’enquête CAPUNI en 2019, il y avait 87% d’internautes dans la population bretonne. Seul un nombre négligeable d’individus interrogés ont répondu s’être connectés à internet seulement depuis le confinement. Il ne semble donc pas qu’il y ait eu un effet « confinement » sur les non-internautes bretons.

Les non-internautes

12% des Bretons se déclarent non-internautes. Les effets relevés lors de notre précédente enquête se confirment : l’âge des individus est prépondérant dans la non-connexion à internet. En effet, 100% des 18-44 ans se déclarent internautes, 95% des 45-59 ans, 85% des 60-74 ans et cela descend à 37% pour les personnes âgées de 75 ans et plus. Il apparaît donc assez clairement qu’un effet “quatrième âge” stable se dessine depuis plusieurs années en ce qui concerne le non-usage d’internet. Nous pouvons formuler l’hypothèse que la perte progressive d’autonomie générale de ces individus influence, par prolongement, ce non-usage d’internet.
Notons également que le niveau d’études est toujours significatif. On retrouve 48% de non-internautes parmi les individus ayant le diplôme du brevet ou n’ayant pas de diplôme. A l’inverse, 2% des individus ayant un niveau d’études allant du bac +1 au bac +5 et plus se déclarent non-internautes.
Dans l‘enquête “individus” menée par Marsouin fin 2008 auprès d’un échantillon de 2000 personnes âgées de 15 ans et plus, nous avions déjà identifié que le sentiment d’isolement était exprimé à 65 % par les non-internautes. Cette catégorie comprenait des personnes qui n’ont pas forcément de problème d’argent mais qui se retrouvent dans des situations de vie qui les isolent. 12 ans après, le phénomène persiste car, selon l’enquête CAPUNI Crise de 2020, 56% des non-internautes vivent seuls (22% dans la population bretonne).

Des nuances au sein des internautes

Si on en reste à la définition internationale de l’internaute, on constate peu d’évolution pendant le confinement. Néanmoins, au sein même des différentes catégories d’internautes, on peut nuancer selon différents profils. En effet, en nous basant sur deux normes sociales d’usages numériques qui touchent l’ensemble des internautes : les réseaux sociaux et la recherche d’information “sur l’instant”, nous avons défini deux profils types de connexion en Bretagne.

Les “hyper-connectés” : qui se connectent plusieurs fois par jour aux réseaux sociaux et à la recherche “sur l’instant”

Les “peu connectés” : qui se connectent moins souvent qu’une fois par semaine aux réseaux sociaux et à la recherche “sur l’instant”

En comparant ces profils entre les résultats de CAPUNI 2019 [2] et ceux obtenus en 2020 lors du confinement, on remarque comme le montre le tableau 1 que si la proportion d’internautes “peu connectés” a baissé de 9 points, la proportion d’internautes “hyper-connectés” a augmenté de 18 points. Les différences d’usages entre les internautes et les non-internautes semble donc s’accentuer. Il y a d’un côté des internautes qui se connectent régulièrement et de l’autre des personnes qui se connectent peu voire jamais. L’entre deux des internautes “connectés et peu-connectés”, qui auraient un usage occasionnel d’internet, se contracte.

Là encore, l’âge est un facteur caractérisant le profil de connexion. Parmi les 18 à 29 ans il y a, en proportion, deux fois plus d’ “hyper-connectés” (44%). À l’inverse, la proportion d’internautes “peu connectés” est quasiment nulle (1%) pour cette tranche d’âge. C’est dans la tranche d’âge des 45 à 59 ans que l’on retrouve le plus d’internautes qui se connectent occasionnellement (11%). Si on considère que cette tranche d’âge est fortement touchée par le chômage structurel des seniors, on peut émettre l’hypothèse d’un isolement et d’une perte d’assurance ou de compétences expliquant ce phénomène.
Les études jouent également un rôle puisque c’est parmi les plus diplômés que la proportion d’ “hyper-connectés” est la plus forte (31%) et que la proportion d’internautes “peu connectés” est la plus faible (3%).

Les nouveaux usages numériques


Pour les consultations médicales

Concernant le domaine médical, le numérique a pu être une alternative que ce soit pour prendre des rendez-vous médicaux ou consulter un médecin. 43% des internautes concernés passaient déjà par le numérique avant le confinement pour prendre leurs rendez-vous médicaux, et 5% ont commencé pendant. Les individus peu connectés sont là encore ceux qui prennent le moins leurs rendez-vous médicaux en ligne avec 15% qui le font (contre 48% au total dans la population).
Pour les consultations, 17% le font avec le numérique pendant le confinement, mais c’est plus du double par rapport au début de la crise sanitaire (8% qui le faisaient déjà avec le numérique avant).

Faire ses courses

En 2019, 29% des Bretons faisant leurs courses, le faisaient avec le numérique, au moins partiellement et 19% le faisaient autant via le numérique que sans. L’enquête de 2020 révèle qu’avant le confinement, 22% des internautes bretons effectuaient les courses en ligne. Ils sont 9% à avoir déclaré s’être mis à les effectuer avec le numérique durant le confinement. Par rapport à l’effectif des Bretons faisant leurs courses en ligne avant le confinement, cela représente un progrès de 41% du nombre d’internautes.
Les individus “peu connectés” faisaient moins leurs courses en ligne (13% contre 31% dans la population). En revanche, les “hyper-connectés” ont plus profité de ces services (41%).

Les tâches administratives

Comme on peut le constater sur le tableau 2, l’augmentation de l’usage du numérique pour effectuer les démarches administratives a été bien plus faible. Ces usages étaient déjà majoritairement dématérialisés avant le confinement.
En 2019, l’enquête CAPUNI avait déjà révélé que 83% des Bretons concernés effectuaient leurs opérations bancaires avec le numérique. Lors du confinement, ils étaient 91% dans ce cas, dont 1% qui déclaraient le faire avec le numérique et pour qui c’était nouveau. Les démarches concernant la sécurité sociale sont effectuées en ligne par 81% des internautes concernés et c’est nouveau pour 3% d’entre eux.
Sur les démarches administratives en ligne la différence entre les individus “peu connectés” et “hyper-connectés” est d’autant plus marquée comme on peut le voir sur le tableau 2.

Amélioration avec le numérique

Les nouveaux usages numériques qui ont émergé durant le confinement ont pu être l’occasion pour une partie des internautes de monter en compétences sur le numérique. En effet, 21% des internautes bretons considèrent savoir faire plus de choses avec le numérique depuis le confinement.
Certains internautes ont eu la nécessité d’adopter de nouvelles habitudes numériques, et ce sont ceux qui ont donc le plus bénéficié du confinement pour s’améliorer avec le numérique. C’est le cas notamment des télétravailleurs (35% d’entre eux savent faire plus de choses avec le numérique depuis le confinement). C’est aussi le cas des parents bretons qui ont suivi la scolarité d’un enfant en ligne et pour qui c’était nouveau (35%). Dans une moindre mesure, les personnes âgées de 45 à 59 ans ont plus amélioré leurs compétences numériques que le reste de la population (27%). Dans cette tranche d’âge on constate une tension entre le nombre de “peu connectés” (11 %) supérieur à la moyenne et les personnes déclarant avoir appris pendant le confinement.
Cette amélioration creuse l’écart de compétences numériques entre les éloignés du numérique et les personnes qui ont un usage plus régulier d’internet. En effet, seuls 4% des internautes peu connectés ont déclaré savoir faire plus de choses avec le numérique après le confinement qu’avant.

Encadré sur l’enquête CAPUNI Crise
L’enquête CAPUNI Crise a été réalisée pour le compte du Groupement d’Intérêt Scientifique Marsouin. Soutenue par la Région Bretagne et l’Agence Nationale de la Cohésion des Territoires, « CAPUNI crise » a permis d’interroger par téléphone un échantillon représentatif de la population bretonne (1501 Bretons dont 1001 individus représentatifs de la population bretonne et un échantillon spécifique de 500 individus vivant en zones rurales isolées). La représentativité est assurée par la méthode des quotas sur les critères d’âge, de sexe, de catégorie socioprofessionnelle, de taille d’unité urbaine de résidence et de département.
L’enquête a porté sur les équipements et usages numériques avant et pendant le confinement, ainsi que sur l’école à la maison et le télétravail.
Les usages des très faibles échantillons ont été interprétés à la lumière des enquêtes antérieures ou des travaux qualitatifs des chercheurs de Marsouin.
Pour plus d’informations, https://www.marsouin.org/article1214.html
Le Groupement d’Intérêt Scientifique Marsouin a été créé en 2002 à l’initiative du Conseil Régional de Bretagne. Il rassemble les équipes de recherche en sciences humaines et sociales des quatre universités bretonnes et de trois grandes écoles, soit 18 laboratoires, qui travaillent sur les usages et transformations numériques.