Nous présentons ici le résultat du projet RNTL. Le texte ci-dessous est l’introduction au rapport final du projet, téléchargeable en français et en anglais.
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Page de lien sur des travaux de recherche sur l’industrie informatique |
Annuaire des entreprises du libre en France |
Une « nouvelle économie du logiciel » semble apparaître, à la suite l’irruption des logiciels libres [1] et,
dans une moindre mesure, de la relance du modèle des composants logiciels, avec ses incertitudes en
terme de « modèle(s) économique(s) », avec aussi un questionnement sur le type de protection intellectuel
le plus adapté à la production de logiciel. Ces questions se posent d’un point de vue général : quelle est
l’évolution de l’industrie informatique, mais aussi d’un point de vue plus régional : comment l’Europe et la
France peuvent profiter de cette évolution pour renforcer leurs positions dans les domaines où elles sont déjà
fortes (services informatiques, systèmes embarqués, etc.) et les améliorer là où elles le sont moins (progiciels).
Cela revient à s’interroger sur la façon dont on produit du logiciel, dont on encadre et encourage cette
production. Or, il n’existe, en économie du moins, que peu de travaux sur le sujet [2].
À cause des spécificités du bien « logiciel », cette industrie possède quatre caractéristiques originales (Richardson
[1997]), qui expliquent la constitution de monopoles, mais aussi le dynamisme et le renouvellement
continuel des entreprises productrices de logiciels.
Conséquence directe du fait que c’est un bien « public [3] »,
le coût de développement d’un logiciel n’est pas affecté par l’ampleur de la population des utilisateurs et le
coût d’extension marginal de cette population est nul ou réduit à un montant négligeable vis-à-vis du coût
de développement. Le rythme de l’innovation est élevé, ce qui réduit la durée de vie des produits. Ces deux
caractéristiques engendrant une concurrence forte, parfois agressive au niveau des prix, pour imposer sa solution
et pouvoir jouir d’une rente de monopole. Les deux autres spécificités renforçant parfois ce type de
concurrence, mais le limitant aussi : il existe des « effets de réseau », dans la mesure un logiciel « n’est d’aucune
utilité en lui-même, mais seulement quand il est mis en oeuvre conjointement avec d’autres produits
complémentaires au sein d’un système ». Les entreprises qui possèdent un logiciel sont alors tentées de développer
les logiciels complémentaires. Mais, en même temps, elles peuvent difficilement couvrir l’ensemble
du spectre de la demande et de nouvelles entreprises se créent sans cesse pour répondre à de nouveaux besoins.
La conséquence en est que les standards jouent un rôle très important car ils permettent de mettre en
oeuvre conjointement des produits complémentaires. Là encore, la définition de standard favorise l’entreprise
qui contrôle leur évolution, elle peut plus facilement anticiper sur leur évolution et garantir l’interopérabilité
des programmes complémentaires. D’un autre côté, le fait qu’elle ne puisse pas répondre à l’ensemble des
demandes l’oblige à rendre publiques leurs caractéristiques.
Avec le développement des progiciels, la constitution des monopoles s’est exacerbée, en même temps
que se réalisait la diffusion de l’ordinateur, jusqu’à en faire aujourd’hui un outil « grand-public ». Or, comme
l’explique Horn [2000b], si cela s’est accompagné d’indéniables progrès en terme de productivité et de qualité
de la production, ils sont insuffisants par rapport à l’augmentation de la quantité et à la diversité des logiciels à
produire, aux exigences croissantes des utilisateurs, et à la complexité grandissante de ce qui est informatisé.
En réponse à ces insuffisances des développeurs, et d’abord Richard Stallman, ont proposé un système
de production alternatif, que nous appellerons le « Libre », ou les logiciels produits sont mis à disposition de
leurs utilisateurs, avec leurs codes sources et le droit de les modifier et de les rediffuser sans contrepartie. La
diffusion d’Apache, de Sendmail ou, plus récemment, de Linux montrent le succès de cette initiative. Mais
le Libre, qui empêche le financement de la production de logiciel par la vente de licences (puisque chacun
peut en faire des copies) remet en cause cette organisation de production. Pourtant il ne semble pas s’opposer
au marché, à la production et à la distribution marchande de logiciel, puisque de plus en plus d’entreprises,
comme IBM, intègrent des logiciels libres dans leurs offres et participent à leur développement [4]. Ce
serait un système qui réussirait à articuler une production non-marchande avec des activités marchandes
complémentaires, proposant ainsi une nouvelle façon de développer le « bien » logiciel.
Or « c’est en définitive l’optimisation des activités économiques contraintes par les règles de droit qui
conduit à la définition des biens échangés et donc à leurs différentes propriétés, destruction ou non par l’usage,
exclusion ou non d’usage, obligation ou non d’usage. La définition des biens est endogène et non exogène »
(Laffont [1991], p. 42). Et effectivement, comme nous le montrons dans le chapitre introductif, la place du
logiciel dans l’activité informatique, composant de la machine, service, bien, et donc la façon de le définir par
le droit, ont varié au cours du temps.
L’émergence du Libre demande que l’on s’interroge sur la possibilité que cette cohabitation, originale,
d’une production non-marchande avec une distribution marchande, soit la base d’une nouvelle organisation
de cette activité économique, fondées sur de nouvelles règles juridiques. Cette étude est aussi importante
du point de vue de la théorie économique et juridique, les chercheurs apparaissant parfois en retrait sur ces
réflexions, peut-être parce que leurs modèles habituels ne sont plus adaptés à un environnement nouveau,
émergent et en pleine évolution. Enfin, si tant est qu’on puisse juger qu’il s’agit là de modèles économiques
performants, et considérant la place de premier rang des entreprises européennes [5], il faut définir les outils
institutionnels à mettre en place pour garantir que ces modèles soient soutenables et durablement créatifs.
C’est dans ce contexte qu’il faut entendre le projet « Nouveau Modèle(s) Économiques, Nouvelle Économie
du Logiciel tel qu’il a été labellisé par le RNTL. C’est pourquoi, dès le premier workshop organisé en
décembre 2000 avec la collaboration de l’INRIA nous avons mis en présence des praticiens et des chercheurs
issus de différentes origines, expérience que nous avons renouvelée en mars 2002. La qualité des débats a été
à la hauteur de nos attentes et a contribué à l’alimenter en travaux et en réflexions originales, destinés non
seulement aux chercheurs mais aussi aux décideurs. Ce sont en grande partie ces travaux que nous présentons
dans ce rapport.
Ses trois parties correspondent aux trois étapes de notre réflexion : décrire les modèles économiques,
expliquer comment on peut construire une stratégie industrielle de valorisation par la mise en libre d’un
logiciel, constater la nécessité de maîtriser le cadre juridique qui autorise ces stratégies et l’expliciter.
Parce qu’il s’agissait d’étudier les nouveaux modèles économiques du logiciel, la première préoccupation
de notre groupe de travail a été d’étudier l’évolution des métiers informatiques qu’entraîne le Libre. Pour rapporter
ces travaux, nous avons choisi de présenter, sous forme d’interview ou de monographie, des entreprises
qui nous ont semblé représentatives des différents « métiers » de l’informatique et de la façon dont ces métiers
s’approprient ces nouveaux « outils », en terme de technique, mais aussi de relation commerciale. Réalisées
par Aymeric Poulain-Maubant (Jipo Interactive), ces études se sont intéressées à IBM, ACT Europe (éditeur
du compilateur Ada 95 « Gnat »), MandrakeSoft (éditeur de la distribution GNU/Linux éponyme) et Makina
Corpus (société de service).
Constatant ces différents modèles, on peut se demander pourquoi une entreprise productrice de logiciel
va choisir l’un ou l’autre des ces modèles libres, et surtout pourquoi elle choisirait parmi ceux-ci plutôt que
le modèle classique, de licence payante d’un logiciel fermé. Pourquoi, comment des producteurs de logiciels
valorisent le fait de diffuser un logiciel sous une licence libre ? La deuxième partie du rapport s’intéresse à
cette question, en proposant deux approches.
Considérant l’importance des sociétés de service dans la diffusion des logiciels libres et dans la construction
d’un marché autour de ceux-ci, considérant aussi le fait qu’elles représentent la grande majorité des acteurs
marchands du Libre, il nous a semblé important de commencer par proposer une analyse de ce secteur. C’est
ce qu’a réalisée Marie Coris (Université Montesquieu, Bordeaux IV), dans son article intitulé « les sociétés
de service en logiciels libres : l’émergence d’un système de production alternatif au sein de l’industrie du
logiciel ?
Si ces entreprises se sont, le plus souvent, construites à partir d’initiatives de développeurs de logiciels libres,
ce mode de production ne se développera que si des acteurs traditionnels l’adoptent et notamment si des entreprises,
déjà existantes, font la démarche inverse qui consiste à intégrer la publication de logiciels sous licence
libre. C’est ce qu’a étudié François Horn (Université de Lille III) au travers de deux exemples de mise en
libre de logiciel, dans son article « Les stratégies de libération du code source d’un logiciel par une entreprise :
opportunité et difficultés. Premiers enseignements de deux exemples récents dans le secteur de la CAO et de la
simulation numérique ». Il y explique, notamment, l’importance des contraintes organisationnelles, mais aussi
la nécessité d’une réflexion ex-ante sur le positionnement marchand de l’offre et donc sur les caractéristiques
de la licence à adopter.
Considérant ce deuxième point, Laure Muselli (Université de Paris XIII) propose une étude des différentes
licences existantes en terme de positionnement marchand dans son article « Les licences : outils stratégiques
pour les éditeurs de logiciels ? ». Elle y explique comment les clauses des ces licences contraignent la relation
avec les utilisateurs-développeurs, mais aussi la stratégie de valorisation financière, de manière statique (au
moment où la licence est choisie), mais aussi de façon dynamique (comment on peut faire évoluer ces relations
au fur et à mesure de la diffusion du logiciel).
Finalement, étudier les stratégies de valorisation, c’est s’intéresser aux rapports, souvent contractuels, que
les producteurs de logiciel veulent construire avec leurs utilisateurs. Et ces rapports reposent sur la licence qui
accompagne le logiciel et sont soumis à la législation en vigueur. C’est pourquoi nous consacrons la dernière
partie de ce rapport aux questions juridiques qui encadrent la pratique du logiciel libre (utilisation et production)
en France. L’étude des licences libres a été menée en vue de constituer un outil utile aux économistes et
aux acteurs des domaines d’activités étudiés dans ce projet RNTL. Aussi, l’accent à été mis sur une présentation
pratique et le rapport comprend le résultat des travaux menés sur le sujet selon trois angles différents.
Tout d’abord Yves Rougy (Alcôve) fournit, dans son article « étude des usages des licences libres » un panorama
très complet de la pratique des licences : leur origine géographique, leurs auteurs (particuliers, établissements
privés ou publics), le type de logiciels auxquels elles s’appliquent... Autant d’informations dont le
traitement permet de mieux appréhender la pléiade de licences de logiciels libres et l’analyse juridique qui en
est faite dans le deuxième chapitre de cette partie.
Cette analyse, est proposée par Mélanie Clément-Fontaine (Alcôve, Université de droit Montpellier, ERCIM),
et s’intitule « étude juridique des licences libres ». Malgré les nombreuses zones d’ombre dues notamment à
l’absence de jurisprudence ou de texte officiel venant améliorer notre connaissance des licences libres, ce
travail devrait permettre de mieux comprendre les notions juridiques rencontrées dans ce domaine, grâce aux
différentes définitions proposées. Les questions communes à toutes les licences libres (la langue de contrat,
les clauses de garanties...) sont expliquées et analysées. Enfin, les licences de logiciels libres les plus significatives
font l’objet d’une description organisée sous forme de classification.
Par ailleurs, étant donné la place actuelle de la question de la brevetabilité des logiciels dans l’actualité juridique
et de son implication économique, l’analyse de cette question a trouvé naturellement sa place dans le
présent rapport, grâce au travail de Franck Macrez (Université de droit Montpellier, ERCIM), « la brevetabilité
des logiciels ».
Si l’ensemble de ces contributions montre le rôle aujourd’hui stratégique du Libre pour l’industrie, il
souligne aussi l’importance du rôle du régulateur public. C’est lui qui oriente le système concurrentiel, en
agissant sur le cadre légal de la protection intellectuelle, mais aussi en définissant des politiques industrielles
visant à organiser ou à soutenir l’industrie française et européenne du logiciel. C’est pourquoi, dans la conclusion
de ce rapport, Jean-Michel Dalle discutera des opportunités et des contraintes que l’évolution actuelle de
l’économie du logiciel offrent à l’action politique.
6Cette conclusion sera présentée à la remise du rapport au RNTL à la fin du mois de novembre.
Enfin, et en l’occurrence en premier, nous avons voulu proposer un chapitre introductif, qui, en replaçant
le Libre dans la perspective historique de l’évolution de l’industrie informatique, en rappelant du régime
de protection des logiciels, permet de mieux comprendre l’apparition et le succès de cette organisation de
production, l’originalité juridique des licences libres, et les enjeux économico-juridiques de cette diffusion.
Nous espérons que ce chapitre permettra à chacun, spécialiste ou non du sujet, d’avoir une vue générale de ce
phénomène et, ainsi, de pouvoir apprécier les contributions plus pointues qui constituent ce rapport