Soutenance d’habilitation à diriger des recherches de Béatrice Damian-Gaillard

, par Margot Beauchamps

Béatrice Damian-Gaillard soutiendra une habilitation à diriger les recherches, le 22 septembre, à l’IEP de Rennes.

Enquêter sur la presse pornographique hétérosexuelle masculine en France

Fortunes et infortunes d’une chercheure au pays Du Hard core

Jury :

Mme Annik Dubied, Professeur ordinaire, directrice de l’Académie du journalisme et des médias, Université de Neuchâtel

Mme Christine Guionnet, Maître de conférences HDR, Université Rennes1

Mme Cynthia Kraus, Maître de conférences, Université de Lausanne

M. Marc Lits, Professeur, Université catholique de Louvain-La-Neuve

M. Erik Neveu, Professeur, Institut d’études politiques de Rennes (garant de l’HDR)

M. Rémy Rieffel, Professeur, Université Paris 2 Panthéon-Assas

M. Jacques Walter, Professeur, Université de Lorraine (garant de l’HDR)

Ce document en vue de l’obtention d’une HDR en SIC prend la forme d’une analyse réflexive sur le parcours d’une chercheure dans un monde social, dominé par des hommes dédiés à la fabrication de fantasmes sexuels pour d’autres hommes, par la médiation du corps des femmes. Il se compose de trois parties, articulées entre elles.

La première revient sur l’itinéraire d’une chercheure confrontée à un terrain scientifique entièrement à défricher. Certes, il existe, en France et à l’étranger, des ouvrages sur la profession journalistique, son histoire, ses évolutions sociodémographiques, et des monographies sur ses spécialités nobles comme le journalisme politique, par exemple. On trouve aussi des études sur la production médiatique dans nombre de secteurs légitimes, essentiellement la presse écrite, en ligne, et la télévision. Mais sur la presse pornographique de manière générale, et française en particulier, quasiment rien, si ce n’est deux références.

La deuxième partie couple une analyse socio-économique du secteur, avec une analyse des trajectoires professionnelle et intime des producteurs de la presse pornographique. Je propose une cartographie de ce secteur de presse, en termes de représentations de la sexualité, de scripts culturels proposés par les titres présents sur ce marché, de positionnements éditoriaux, et d’ancrages dans des sous-espaces de production. Mon objectif est ici d’explorer la diversité des économies politiques du désir selon les spécificités réglementaire, commerciale et sociale des marchés, dont celui des publics. J’explique également comment les acteurs puisent dans leurs expériences personnelles, notamment sexuelles, des savoirs et savoir faire qu’ils transforment en ressources professionnelles dans leur activité de rédacteur dans la presse pornographique. Ces dimensions s’entremêlent et relativisent les discours d’inspiration managériale sur les compétences des salariés, peu à même de comprendre les rationalités affectuelles à l’œuvre dans le déroulé d’une carrière. Ce qui réinterroge aussi la manière d’enquêter sur des terrains plus académiques, c’est-à-dire plus conformes à la définition historique et institutionnelle du journalisme. Selon qu’il exerce un journalisme pur ou impur par rapport à la norme, les producteurs ne subissent pas les mêmes soupçons quant à leurs pratiques, leurs représentations professionnelles ou leur éthique. Comme si les jeux de détachement, de distance, de désir, de fascination ou de répulsion dans les rapports à l’objet ou aux sources étaient réservés aux espaces les plus sales de la production journalistique. Dès lors, travailler sur la presse pornographique, qui relève de l’impur et du sale, c’est éclairer la manière dont s’ordonne l’activité et la profession journalistique, d’une part, et les discours médiatiques sur la sexualité, d’autre part.

La troisième partie éclaire toujours les rapports sociaux qui sous-tendent ces processus, et en particulier la vision différentialiste de la sexualité qui renvoie souvent la sexualité féminine à la conjugalité et aux sentiments, et la sexualité masculine à un besoin incontrôlé. Ce double standard opère notamment dans les discours des acteurs médiatiques lorsqu’ils excluent ou minimisent la consommation de contenus pornographiques par les femmes, alors qu’ils ne disposent que peu de données sur leurs modes de réception et leurs publics. Cela prouve que ces représentations renvoient surtout à un ordre symbolique genrée, où les appétences et les pratiques sexuelles sont évaluées, acceptées ou rejetées, à partir d’oppositions axiologiques comme le goût/le dégoût, le pur/l’impur, et le propre/le sale. Nombre de ces jugements de valeur portent sur les corps, centraux dans les dispositifs esthétique et sexuel de la sexualité. C’est pourquoi, je poursuis, dans cette dernière partie, la réflexion sur les processus d’étiquetage et de classification sociale des sexualités, à partir de deux perspectives : d’une part, les représentations médiatiques de l’amour charnel, et d’autre part, les définitions du genre, du désir et de la sexualité par la situation d’enquête. Si ces deux perspectives n’entretiennent pas de lien de causalité entre elles, elles se rejoignent en ce qu’elles touchent à la construction de nos identités genrées, nos sexualités, dans une société donnée, à la prise de conscience d’un ordre social, qui les modèle. Elles posent aussi la question de leur plasticité, de la possibilité qu’a chacun d’entre nous, en fonction de sa position, de les contester et de les bricoler.