communication, Internet, territoire, articulation local/global, identité.
Keywords : communication, Internet, territory, articulation between local and global, identity.
CRAPE-Arènes - UMR 6051/Onticm-IUT de Lannion
M@rsouin-Université de Rennes 1.
Les travaux dont cet article rend compte sont issus de plusieurs programmes de recherche menés par l’équipe du CRAPE-Arènes/ONTICM de l’IUT de Lannion, une équipe constitutive du G.I.S M@rsouin. Ils ont fait l’objet de contrats de recherche commandités par le Conseil Régional de Bretagne qui, en interrogeant la pertinence des politiques publiques d’aide au développement des usages d’Internet sur le territoire breton, ont fait apparaître une définition très fluctuante des territoires locaux de référence. Ces travaux portaient tout d’abord sur l’évaluation de la politique de mise en place d’espaces publics accès à Internet (programme « Cybercommunes ») instauré dès 1998. Cette première phase ayant montré les écarts qui existent entre les pratiques des élus locaux et les potentiels des nouveaux réseaux, nous avons engagé une étude complémentaire s’intéressant aux pratiques non-institutionnelles d’Internet. Ce travail a montré les décalages existant entre les pratiques locales des citoyens engagés dans des actions locales et les médiatisations opérées sur le Web à un niveau global. Dans un troisième temps, une nouvelle phase d’étude s’est intéressée aux phénomènes d’autopublication et plus particulièrement aux weblogs.Cette présentation retrace donc d’une certaine manière les représentations successives dans lesquelles ont été inscrits les usages d’Internet en lien avec les territoires d’appartenances des internautes.
Transposer sur Internet les territoires de référence.
Nous voyons dans un premier temps que la transposition sur le Web des modes d’actions et des formes de pouvoir local ne peut s’opérer directement tant les modes de représentations, les formes d’interventions ou même les citoyens impliqués, différent entre le territoire physique et le cyberespace. Les limites de l’action institutionnelle sont atteintes dès lors que l’on met en œuvre les potentiels techniques d’Internet et tout particulièrement les logiques hypertextuelles. Ces dernières s’accommodent fort mal des frontières administratives et des clivages politiques qui régissent les territoires administratifs. Lorsque nous nous intéressons aux pratiques citoyennes non institutionnelles, nous sommes confrontés à un autre type de clivage opposant les acteurs de l’espace physique local et leurs porte-parole dans le cyberespace. Les premiers utilisent au mieux l’Internet pour accroître l’efficacité de leurs pratiques traditionnelles (information, mobilisation, coordination) alors que les seconds usent de leur expertise pour afficher l’action dans un Cyberespace global où ils revendiquent leur place. Mais dans ce dernier cas, l’écart est souvent tel entre l’action locale et l’information globale qu’il est impossible de parler de transposition du référent physique vers le Cyberespace.
Cependant ces pratiques utilisent des fonctions technologiques qui remettent en cause les définitions éthologiques des territoires. Ainsi l’usage des moteurs de recherche permet de définir des territoires avec beaucoup plus de finesse, derrière une unité territoriale de façade. Les intersections des territoires de pratiques et d’usages des citoyens font apparaître des représentations plus nombreuse et plus subtiles. La clôture formelle de ces territoires est aussi mise à mal par les liens hypertextuels qui autorisent des interconnexions de données, de pratiques, de discours, qui échappent toujours aux frontières de l’espace physique. Le mode d’agrégation des pratiques et des ressources peut, grâce aux « portails », composer une infinité d’espaces dont les acteurs sont associés en fonction des requêtes des chercheurs d’information, sans qu’ils ne constituent pour autant des communautés organisées.
Sociabilité du Cyberespace : entre local et global.
Pour aller au-delà de cette description des niveaux d’organisations socio-techniques il faut regarder de plus près ce que les acteurs concernés font des réseaux qui leur sont ouverts. Comment se situent-ils vis-à-vis de l’espace local dans lequel ils vivent ? Cette question reste centrale tant il est évident que les fondements de l’expression et de l’existence dans le Cyberespace restent indubitablement le territoire de référence dans le monde physique.
Dans un premier cas, où l’on parlera de site auto-centré, le territoire d’ancrage occupe tout l’espace de l’expression et ne fait que renvoyer à leurs auteurs une image d’eux mêmes sur un réseau qui ne les entend pas. Cette existence sur le réseau leur donne toutefois l’illusion qu’ils concourent à infléchir l’action publique. Parfois cette forme d’expression aura une dimension égotique tellement forte que le sujet parlant ne se différencie plus clairement du territoire auquel il se réfère. C’est souvent le cas de sites personnels portant sur le territoire de vie de l’auteur du site. D’autres configurations nous montrent aussi une extension du territoire vers des espaces symboliques plus ou moins usurpés, mais qui tendent à renforcer l’image du territoire originel. Dans la même veine, on trouve également des sites capables de tirer parti, et finalement de magnifier, des espaces territoriaux qui ont su mettre en place des symboles identitaires efficaces.
Toutefois l’activation de ces ressources territoriales a pour objectif une exposition, parfois une confrontation, avec un global défini de façon mythique comme « village global ». Ce global est donc la finalité idéalisée de l’usage de la Toile pour y afficher le local. L’affichage de la ressource locale s’opère le plus souvent sans que celle-ci n’accède à une réelle médiatisation globale en dépit des illusions de leurs auteurs. Les exemples de ces espoirs sont nombreux mais s’avèrent peu concluants pour leurs instigateurs.
L’espace social territorialisé dans le Cyberespace.
La dernière approche de l’étude de référence porte sur les modes de représentations intuitives du territoire chez les internautes qui affichent sans prétention des carnets de notes plus ou moins intimes. Ces bloggueurs ont vu leur nombre passer de quelques dizaines à plusieurs millions en quelques mois. Un tel phénomène mérite que l’on regarde comment se recomposent les territoires et l’information locale dans ce contexte. Il existe de nombreux types pour ces blogs, mais un phénomène massif concerne l’expression des adolescents utilisant les outils proposés par la station « Skyrock ». Ces skyblogs représentant près de 80% des blogs en France nous apprennent finalement beaucoup sur les rapports aux territoires physiques d‘appartenance des internautes et la façon dont ils construisent leurs propres territoires.
Là encore, il n’existe pas de génération spontanée de territoires dans le Cyberespace. Ces skyblogs, viennent compléter des formes de relations sociales qui usent largement des technologies d’information et de communication, mais qui à la base se construisent toujours dans le monde physique quotidien. La finalité conviviale et ludique de ces sites d’adolescents n’annihile pas le référentiel territorial, bien au contraire. Que ce référentiel soit l’espace des études, la sphère familiale ou amicale, la cité ou bien encore les lieux de loisirs fréquentés, ces territoires sont très présents à la fois par leur mention dans les textes mais aussi dans les photographies qui les accompagnent.
L’examen attentif d’un corpus de près de 400 de ces sites met en évidence des traits saillants de la construction de ces territoires virtuels par des adolescents. Tout d’abord le faible nombre de liens disponibles et utilisés révèle que le territoire de l’Internet n’est pas la planète mais un groupe social très resserré et non hiérarchisé. « L’entre-soi » recherché par les adolescents fait échos à de nombreux sites personnels, associatifs ou même institutionnels qui s’efforcent de clore leurs territoires sur le cyberespace aussi radicalement que dans le monde physique. La contre-partie de cette forte clôture est, dans le cas des skyblogs, la densité quantitative des échanges opérés entre les membres.
Nous notons également que les usages d’Internet s’inscrivent dans une démarche globale de communication qui peut être simultanée (chat ou téléphone) ou asynchrone (messagerie et mails) selon les moments sociaux et les interlocuteurs. Les limites temporelles de ces territoires d’interaction sont donc modulables grâce aux technologies. De la même façon, cette panoplie technologique permet de modifier les limites spatiales d’un territoire dont la clôture assure l’intimité. C’est pourquoi on parlera aussi de dilatation des espaces de vie comme étant une caractéristique majeure de l’émergence des nouveaux territoires issus de l’Internet.
L’ensemble des travaux dont nous venons de rendre compte nous conduit à formuler l’hypothèse que nous assistons, en raison de nouvelles offres d’usages technologiques, à une construction territoriale où les formes institutionnelles des territoires perdent beaucoup de leur prégnance. En même temps nous discernons un espace aisément remodelable par des acteurs qui restent attachés à leurs territoires physiques de vie. La particularité de cette modularité est que le passage de l’action locale à l’expression globale est favorisé de même que la frontière entre espace public et espace privé se trouve redéfinie.