Les frontières des fractures numériques générationnelles, économiques et sociales

, par Jocelyne Trémenbert

La distance, ou la proximité, à Internet est-elle différente selon les types d’exclusion ? Cet article explore les rapports aux technologies, des internautes, et des non internautes, issus de segments de population souvent considérés comme éloignés (les « seniors », les « actifs modestes », les « faibles revenus » ...). Ainsi, on peut remarquer qu’au sein des non internautes, les seniors ont des degrés d’expérience, de connaissance et de compétences très faibles. Si les « faibles revenus » sont également peu informés et peu motivés, les « actifs modestes » le sont davantage mais manquent de temps à y consacrer. La télévision reste pour les « isolés socialement » le premier média. Au sein des internautes, les seniors, tout comme les actifs modestes, sont des internautes moins réguliers et à l’aise avec des usages ayant un but (les relations commerciales ou administratives).

Exclusion numérique et autres formes d’exclusion sont liées. Si Gros-Jean et Padieu [1] définissent l’exclusion comme « un processus de cumul de ruptures avec les formes essentielles du lien social : habitat, famille, couple, travail et avec les formes essentielles des modes de vie dominants dans une société donnée », le numérique faisant partie maintenant des modes de vie dominants, il est possible de cumuler l’exclusion numérique aux autres formes d’exclusion. Réciproquement, d’après les conclusions de la dernière Conférence ministérielle sur l’inclusion numérique, « les actions en faveur de l’inclusion numérique doivent comporter des mesures également liées à l’inclusion sociale, l’emploi, l‘éducation, la réforme administrative, la cohésion territoriale et la santé ».

Les différents niveaux d’exclusion sont souvent abordés selon trois dimensions : l’exclusion économique, c’est-à-dire par rapport au mode de consommation ou au monde du travail - sont alors concernés les sans emploi, les personnes en situation précaire d’emploi ou en emploi peu qualifié, les sans logement ... ; l’exclusion sociale par rapport à une sphère de vie collective (famille, quartier, association), une vie sociale ; l’exclusion culturelle - incluant par exemple des situations d’échec scolaire ou d’illettrisme - exprimée à travers les pratiques et jugements culturels qui, selon Bourdieu, fonctionnent à la fois « comme facteurs d’intégration, attestant l’appartenance à une classe, mais aussi comme facteur d’exclusion ». Mais l’exclusion numérique est-elle liée à toutes ces dimensions ? Retrouve-t-on au sein de la fracture numérique les expressions de l’exclusion ?

Pour beaucoup la fracture numérique n’est qu’une nouvelle expression de la fracture sociale. Initialement, et ce dès le début des années 1990, selon Alain Rallet et Fabrice Rochelandet [2] , des travaux menés aux Etats-Unis soulignaient les risques liés à l’exclusion de certains groupes sociaux par rapport aux TIC. C’est aussi en 1995 déjà, que l’expression « digital divide » a été évoquée par Long-Scott [3] , mettant en évidence les risques d’exclusion des plus pauvres et des minorités communautaires des technologies de communication du point de vue de la participation à la vie démocratique. Cependant, la fracture numérique recouvre des inégalités de dimensions et de natures très différentes. Si au départ, elle était vue comme une forme d’exclusion de ceux n’ayant pas accès aux TIC (dite fracture de première espèce), par la suite, une seconde fracture est apparue, basée sur les usages effectifs des TIC. La fracture numérique devenant « la séparation entre ceux qui utilisent les TIC (d’une manière efficace et créatrice) et ceux qui ne les utilisent pas, ou pas ainsi. La réflexion portant moins sur les moyens en TIC, mais surtout sur les conditions de leur utilisation effective, de leur appropriation et de leur promotion auprès des exclus » [4].

La seule fracture numérique, plus souvent volontairement exprimée sous le terme « d’inégalités numériques », ne représenterait qu’une toute petite partie de l’ensemble des inégalités de développement et serait difficilement dissociable. D’après Adel Ben Youssef dans son analyse de la fracture numérique selon quatre dimensions, « les démonstrations de l’existence d’écarts (d’équipements, de connexions...) ou bien d’accroissement de ces écarts ne séparent que faiblement la part due aux TIC de celle qui relève des mécanismes classiques d’inégalités ». On peut néanmoins se demander si désintérêt des TIC, volontaire ou non, et difficultés socio-économiques plus profondes (pauvreté, inégalités face à l’éducation, etc.) sont liés ? Volontaire car parmi les personnes qui n’utilisent pas Internet, se trouvent des personnes qui restent intentionnellement en dehors de l’univers d’Internet (par peur de la technologie, par manque de temps, par désintérêt). Involontaire car cohabitent également des personnes, en marge, suite à des discriminations économiques (manque de ressources financières) ou sociales (manque de compétences, de formation).

Quels sont ces inégalités numériques et les publics touchés par l’exclusion numérique ? Les travaux sur la fracture cernent généralement bien les publics concernés par le non usage ou qui présentent des usages peu développés. D’un point de vue quantitatif par exemple, sont considérés comme « publics en exclusion numérique », les groupes socio-démographiques qui présentent des écarts à la moyenne de la population en matière d’usage des technologies de l’information et de la communication. L’indicateur choisi est le plus souvent le taux d’utilisateurs. Ainsi, si en moyenne 63% des Français utilisent Internet (Crédoc 2008), les 60-69 ans apparaissent comme public éloigné en raison des 32% [5] d’internautes. Ce sont des variables démographiques ou socioprofessionnelles (âge, genre, composition familiale, niveau d’éducation, revenu, catégorie professionnelle) ou des variables géographiques ou géopolitiques (écarts entre zones urbaines et rurales, entre régions ou entre pays, entre le Nord et le Sud) qui permettent de baliser les écarts entre les différents sous-groupes de population. Les travaux théoriques et empiriques convergent souvent en désignant comme principaux déterminants l’âge, le niveau d’éducation, le niveau de ressources financières. Dans certains travaux d’autres facteurs, comme un quotidien pauvre en technologie [Qui refuse les TIC en Bretagne et pourquoi ? Comprendre grâce aux statistiques le non usage d’Internet] , un isolement/éloignement des internautes [6] , sont mis en lumière.

Il nous faut juste garder à l’esprit que :

 les interactions entre facteurs socio-économiques sont très fortes : par exemple les personnes ayant un faible niveau d’instruction ont souvent également un faible revenu.
 comme le souligne le groupe d’experts eEurope, dans le rapport "e-Inclusion : nouveaux défis, nouvelles politiques" [7] , en revenant sur les différentes natures au sujet des écarts dans l’appropriation des TIC : Si certains écarts reflètent des différences entre les individus et les groupes, des différences relatives aux préférences, aux antécédents culturels, aux profils d’emploi...,d’autres ne sont que transitoires et correspondent aux courbes d’adoption classique (les hommes, les jeunes ...).Par contre, certains écarts seraient de nature structurelle, soit parce qu’ils sont étroitement liés à la pré-socio-économique des différences, par exemple l’éducation et le revenu, soit parce qu’ils sont créés par la façon dont les industries des TIC, les adoptants précoces, les décideurs et parfois même, la forme de l’innovation technologique.

Cet article a pour principal objectif d’explorer la fracture numérique en regard des autres formes de fractures. De plus, en analysant à la fois les clivages dans les usages et dans les non usages des publics considérés comme en exclusion numérique, il tente de comprendre les mécanismes et dynamiques qui sous-tendent l’usage / le non usage de l’outil Internet. En déplaçant le curseur de la compréhension de la diffusion des technologies, à la fois, vers l’analyse de certains types de non-usagers, et, vers celle d’usagers avec un profil particulier, nous pensons apporter un éclairage nouveau et plus précis quant aux multiples facettes de la fracture numérique. L’objectif reste de cerner au mieux les personnes en difficulté.

Dans un premier temps, nous allons préciser la méthodologie déployée en décrivant notamment le terrain statistique et les publics en exclusion numérique choisis.

1. Méthodologie

Basé également sur la compréhension à travers les statistiques, il vient compléter le précédent article sur le non usage [8] qui, à l’opposé, détaillait les différents profils de non utilisateurs d’Internet. Les différences étaient analysées à partir de leurs freins et motivations, points de vue et représentations, voire niveaux d’information. Les caractéristiques socio-démographiques (âge, profession, revenus ...) n’étaient abordées cette fois-là que pour affiner la description des différentes situations de non usage.

Cette fois-ci, nous partons de profils socio-économiques souvent exclus et analysons leurs rapports aux technologies, notamment leurs situations vis-à-vis d’Internet[A ce titre, nous reprendrons souvent des postulats développés dans l’article « Les recherches sur les usages des TIC à l’épreuve de la problématique des non-usages d’Internet et de l’informatique. Réflexions méthodologiques sur les indicateurs de l’exclusion dite numérique. »] .

 La dernière édition de l’enquête M@rsouin « Résidentiels » (datant de Juin 2008, auprès de 2000 personnes résidant en Bretagne et âgées de 15 ans et plus) révèle que 75% des 60 ans et plus n’ont pas utilisé d’ordinateur dans les 3 derniers mois précédant l’enquête [9] . Aussi la cible des « seniors » est-elle fondamentale dans notre analyse de la fracture numérique.

*Nous avons également décidé d’explorer le cas de ceux que nous nommerons par la suite les « actifs modestes ». Ces individus ont entre 25 et 59 ans, n’exercent pas de profession ou se déclarent appartenir aux catégories socio-professionnelles des ouvriers et des agriculteurs, exploitants. Pour information, ils représentent de l’ordre de 40% des 25-59 ans et 28% des « actifs modestes » ne sont pas internautes.

*Sur les 2001 personnes interrogées, 320 (soit 16%) ont déclaré la vie difficile, voire très difficile, avec les revenus actuels de leur foyer. Parmi ces dernières, 98% sont issues de foyers avec moins de 3000 euros pas mois , 76% moins de 2000 et même 33% moins de 1000. On retrouve, bien sûr, dans cette catégorie des individus appartenant aux publics qui viennent d’être cités. Ainsi, 46% sont des seniors, 27% des « actifs modestes », mais aussi 27% « d’autres » : essentiellement des employés, des professions intermédiaires, voire des étudiants indépendants et de jeunes cadres. Nous les nommerons par la suite les « faibles revenus ». 55% n’ont pas utilisé d’ordinateur dans les 3 derniers mois précédant l’enquête, a fortiori Internet.

*Les « isolés socialement » désigneront les personnes qui ont répondu rencontrer le moins souvent des amis, de la famille, participer à des activités culturelles ou sportives. 10% de l’échantillon total de l’enquête sont dans ce groupe (205 personnes). Si il est constitué à 49% par des seniors, 26% des actifs modestes, 25% des employés, des professions intermédiaires, artisans, cadres ou étudiants, à la différence des faibles revenus, seuls 33% de ces derniers en font partie. 65% sont non utilisateurs.

*La population des femmes ne sera volontairement pas traitée car ces dernières ne présentent pas de spécificités (hormis, d’après les statistiques, peut-être une certaine aisance et une variété d’usages déclarées). Le genre n’est plus, depuis quelques années déjà, facteur structurant des usages.

*De même, le segment des « parents isolés » ne sera pas exploré : ces derniers n’étaient en fait que 43 parmi les 2001 personnes interrogées lors de notre dernière enquête. Nous ne pourrons produire des statistiques. Pour information, 38 étaient des internautes, 36 avaient accès à Internet à leur domicile (soit une estimation de 84% de taux de connexion, proportion identique à celle des autres parents).

Tableau 1 - Taille des échantillons étudiés

Nombre de personnes interrogées
Total enquête 2001
Seniors 573
Actifs modestes 478
Faibles revenus 320
Isolés socialement 205

Pour chacun des 4 profils, nous décrirons à la fois :

 les particularités des non-utilisateurs, comparées aux « autres » non utilisateurs (le reste de la population hormis le profil),

 et celles des utilisateurs, comparées cette fois-ci aux « autres » utilisateurs.

Nous aborderons des éléments clés comme le passage à l’acte numérique, les usages à l’origine de ce passage, les usages développés par la suite, les intermédiaires sollicités, les raisons avancées.

Nous espérons ainsi pouvoir apporter un début de réponse à des questions comme :

 La distance ou proximité à Internet est-elle différente selon les types d’exclusion ?

 Ouvriers et seniors non internautes ont-ils les mêmes raisons de ne pas utiliser Internet ? Quelles sont les appréhensions de l’un et de l’autre ?

 Un actif et un senior ont-ils le même degré de connaissance concernant Internet ? Sont-ils tous les deux autant réfractaires ?

 Seniors et moins âgés, ouvriers et cadres, sont-ils des internautes réguliers semblables ? Ont-ils les mêmes usages d’Internet ?

 Les internautes « socialement à part » ont-ils les mêmes usages sociaux d’Internet que les autres internautes ?

 Etc ...

2. Portraits de non internautes

Comme dans le précédent article, nous allons revenir sur certains facteurs qui conditionnent le rejet d’Internet comme les représentations, expériences, justifications et intentions. Seulement, cette fois-ci, ces facteurs ne seront plus analysés pour l’ensemble des non internautes mais par type de publics, en portant une attention particulière aux différences de facteurs entre publics.

2.1. Les représentations

Comprendre le processus de décision conduisant à l’abandon, et surtout au rejet, est un exercice très difficile, d’autant plus à l’aide des statistiques qui capitalisent difficilement les parcours. Par contre, chez nos seniors, l’absence d’utilisation peut facilement être mise en relation avec leurs nombreuses représentations et absence de représentations. Et c’est par l’intermédiaire de la construction de ce système de représentations et de perceptions, comportant des dimensions sociales et cognitives, que l’individu construit, élabore son point de vue.

Il semble qu’on puisse associer seniors non internautes et méconnaissance (totale ou partielle) des usages d’Internet. D’une part, 1 sur 4 n’a aucune idée de ce que l’on peut faire avec Internet. Comme réponse à la question « Je vais vous proposer une liste de choses que l’on peut faire avec un ordinateur et Internet, vous allez me dire si, oui ou non, vous les connaissez ? », 26% ne sélectionnent aucun des 13 exemples d’usage proposés. Les usages étaient pourtant des plus basiques, comme « commander/acheter des produits en ligne (vêtements, électro-ménager, hi-fi ...) », « rechercher des informations sur la santé, la vie locale ... », « suivre ses comptes, faire des opérations bancaires ». D’autre part, les seniors qui sont « avertis » ont une représentation relativement partielle. En effet, leur score total moyen d’usages connus est de 6.8 contre 10.6 (sur 13) pour les « autres » non internautes. Cette méconnaissance, totale ou partielle, fait en partie qu’ils sont peu nombreux à se tourner vers leur entourage comme médiateur d’usage.

Comme le montre le tableau qui suit, les représentations peuvent être erronées. Internet, par exemple, est vu comme un outil destiné à d’autres (davantage pour les jeunes, pour ceux qui travaillent). Les capacités à se projeter sur les opinions concernant Internet deviennent même difficiles.

Tableau 2 - Opinions sur Internet - Comparaison

Opinions testées Type de réponses Taux auprès de la population des seniors non internautes Taux auprès de la population des moins de 60 ans non internautes
Internet est surtout pour les jeunes Taux de « Tout à fait d’accord » 22% 10%
Internet est surtout pour les gens au travail Taux de « Tout à fait d’accord » 15% 9%
Internet fonctionne mal Taux de « Ne sait pas » 28% 13%
Internet détruit les liens familiaux, les liens avec les autres Taux de « Ne sait pas » 13% 3%
Internet abolit les distances Taux de « Ne sait pas » 14% 4%

Comme le montre le graphique qui suit, les « faibles revenus » constituent également un public de non informés concernant les usages d’Internet, jugeant Internet pour plus de la moitié inutile.

A l’inverse, plus de la moitié des « actifs modestes » juge Internet utile (dont un quart même très utile). Nombreux sont les usages connus, et utilisés autour d’eux.

2.2. L’expérience

On entend souvent dire que les cas d’abandon de l’usage d’un ordinateur chez les retraités sont relativement nombreux [10] . Ils tentent l’expérience - au sein d’un point d’accès public, auprès de leurs proches - et par manque d’accompagnement à long terme, se trouvant souvent démunis devant les problèmes techniques, ces « désemparés du numérique » ne perdurent point. Pourtant, les statistiques observées contredisent ce point. 11% seulement ont déjà essayé. Cette proportion, de plus, est nettement inférieure à celle observée (34%) parmi la population des (15% de) non utilisateurs de moins de 60 ans. Par ailleurs, au cours de l’enquête nous n’avons relevé aucun foyer de retraités ayant choisi d’avoir à leur domicile une connexion Internet puis l’ayant résiliée.

Les « actifs modestes » sont plus souvent entourés d’utilisateurs au sein de leur foyer. Aussi un tiers a déjà eu recours à de l’intermédiation d’usage alors que les autres internautes globalement ne sont que 18% dans ce cas. De même, cette catégorie de non internautes a plus souvent expérimenté Internet (33%).

Pour les « faibles revenus », leurs difficultés économiques sont très souvent énoncées comme cause de non usage ou d’abandon d’usage (notamment à travers la détérioration de la situation économique et financière). Un faisceau d’indicateurs peut nous permettre d’en juger. Déjà, obligés de faire des arbitrages entre les postes de dépenses, 93% de ces non internautes n’ont pas Internet à domicile (la proportion n’est plus que de 85% pour le reste des non internautes [11] ). Nous en conclurons donc que des revenus faibles restent un frein à l’accès et par conséquence à l’usage. En revanche, cette situation ne semble pas être, globalement, source d’abandon d’usage puisque 87% de ces non internautes n’avaient jamais eu même une quelconque expérience (chiffre significativement supérieur aux 79% constatés parmi les revenus moyens ou forts non utilisateurs). Autre conséquence, étant de plus, souvent isolés, ce ne sont que très rarement des internautes par intermédiaire. 9% seulement vivent dans un foyer où un autre membre de la famille est utilisateur.

2.3. Les justifications

Le graphique qui suit confronte les justifications de non usage des seniors à celles des plus jeunes. On y constate, que toutes les justifications proposées présentent des taux d’adhésion plus forts pour les seniors, exceptée une, le manque de temps. Certains non utilisateurs peuvent choisir de ne pas utiliser Internet par manque de temps à y consacrer (comprenant un temps d’apprentissage et un temps d’utilisation), devant faire des arbitrages dans la gestion de leur temps entre temps de loisir, temps professionnel et temps domestique. C’est souvent le cas de mères de famille mais moins celui de nos seniors. En revanche, manque d’intérêt (comme nous l’avions déjà vu) et problèmes de santé (souvent liés à l’âge) affectent davantage cette non-utilisation. La peur de ne pas réussir, de ne pas arriver à l’utiliser, est l’élément présentant le plus de différences (cas de 21% des seniors non internautes). D’autres justifications, importantes malgré tout, comme le manque perçu de compétences, la peur de ne pas savoir faire face à des incidents techniques ou les problèmes de coût, sont partagées par les deux types de population.

Que manque-t-il aux « actifs modestes » plus informés (comme nous l’avons vu) et motivés en général (comme nous le verrons) pour franchir le cap ? Comme pour les autres internautes, le manque d’intérêt pour la technologie, le manque de formation à l’utilisation, de compétences techniques, voire la peur de ne pas y arriver et le coût freinent presque 1 « actif modeste » sur 2. La grande différence avec les autres non internautes réside dans le manque de temps à y consacrer. Ils sont 40% à le déclarer (versus 17%).

Leur point de vue vis-à-vis d’Internet est plus prononcé. « Non, Internet n’est pas que pour les jeunes ou les gens qui travaillent. Non Internet ne fonctionne pas mal. Et s’il abolit les distances, il ne détruit pas les liens familiaux, les liens avec les autres ».

Bien sûr les « faibles revenus » justifient principalement leur non usage par leur manque de ressources financières. 69% citent « les coûts d’équipement et de connexion trop élevés », 37% pour le reste des non internautes. D’autres raisons spécifiques ? Le manque de temps ne semble pas être un frein pour cette catégorie. Le manque d’intérêt n’est pas, non plus, plus flagrant. Par contre, fortement corrélées aux faibles revenus, la mauvaise maîtrise de la langue écrite et la peur de ne pas réussir ressortent (pour respectivement 24% versus 9% et 63% versus 38%).

Si le profil des « isolés socialement » est relativement proche de celui des « faibles revenus », les grandes différences résident dans les raisons avancées de non usage : santé, alphabétisation et confiance en soi prédominent. 40% citent comme frein un problème de santé, 58% la peur, 20% la mauvaise maîtrise de l’écrit.

2.4. Les intentions

Le graphique qui suit est parlant. Si plus de la moitié des seniors, des « faibles revenus », des « isolés socialement » sont de vrais réfractaires, avec des projections d’usage très négatives, 46% (9%+37%) des « actifs modestes » sont au contraire des utilisateurs potentiels.

L’ensemble de ces informations nous permet donc de compléter la représentation graphique du non usage déjà abordée dans l’article précédent en y juxtaposant les segments étudiés. Les « actifs modestes » apparaissent, au sein des non utilisateurs, comme les plus motivés et informés, en revanche, pour les seniors le chemin vers l’adoption d’Internet est encore long (voir l’extrait proposé de paroles de seniors non internautes) .

Paroles de seniors non internautes


« Les technologies c’est pour les plus jeunes, je crois. Pour nous les vieux, on a tellement de mal à se raccrocher avec ce qu’on a su maîtriser dans le passé, qu’on voudrait encore maîtriser, et qu’on arrive déjà plus à maîtriser ce qu’on maîtrisait autrefois. Alors aller se crever pour maîtriser des choses qu’on ne maîtrise pas du tout et se mettre en position d’apprentissage pour du nouveau, ça nous dépasse complètement. Dans tous les domaines, je vois autour de moi, je vois dans toutes les associations, c’est « aidez-moi à faire ce que je pouvais faire autrefois »... c’est jamais la demande « aidez-moi à faire des choses nouvelles ». Si j’avais un demi-siècle de moins, j’aurais envie d’aller vers du nouveau dont les nouvelles technologies, mais maintenant non »

« J’ai peur de commettre des erreurs, c’est bien quand on a commencé à apprendre à 50 ans, mais commencer à 80... »

« Les tâches administratives, c’est un éternel casse-tête. La communication est difficile avec tout le monde administratif. Avec Internet, est-ce que ce serait plus facile ? Je n’en sais rien, je n’en suis pas sure. Les renseignements administratifs je les trouve difficilement, ce n’est pas avec Internet que je les trouverai mieux »

« Être assise devant un clavier me déplait, je n’arrive pas à taper sur les touches, j’ai des gros doigts qui tremblent avec les neuropathies, donc je rate toutes les touches. Ensuite, regarder sur un écran lumineux, j’ai beau mettre des lunettes de soleil, cela m’est extrêmement désagréable. Donc, c’est un outil qui n’est pas pour moi, donc je communique encore à distance soit par le téléphone, soit par de longues lettres ».

3. Portraits d’internautes

L’objectif de cette partie est de voir si les populations d’internautes associées présentent également des spécificités d’usages, notamment en matière de voie d’apprentissage, de compétences [12] et d’usages d’Internet et de l’ordinateur.

3.1. Voie d’apprentissage

Si un quart des internautes profite de leur entourage pour acquérir des connaissances informatiques, le tableau qui suit nous confirme que les « isolés socialement » sont davantage des autodidactes, les « faibles revenus » ont davantage recours à leur entourage qu’à des formations .

Seniors Actifs modestes Faibles revenus Isolés socialement Moyenne des internautes
Se sont formés principalement seuls 14% 19% 20% 26% 13%
Se sont formés principalement de manière informelle (conjoint, enfants, proches ou collègues) 29% 25% 29% 23% 23%

Côté seniors, 25% sont des internautes et même pour certains, des internautes de longue date, puisque 1 senior internaute sur 2 a utilisé un ordinateur pour la première fois de sa vie avant l’âge de 50 ans (voir graphique). Aussi, la proportion de personnes formées lors de leur vie active (48%) prédomine même sur celle des autodidactes (14%). La proportion chez les seniors de personnes formées par un proche, un ami, hors collègues, quant à elle, est trois fois plus importante que celle rencontrée chez les autres internautes (15% contre 5%). Nombreux, par exemple, sont les cas rencontrés où les seniors ont franchi le pas suite à un cadeau des enfants et guidés par ces derniers. Si les espaces publics numériques type cybercommunes sont estimés être fréquentés essentiellement par les ados pour y jouer et les seniors pour accéder à Internet et s’y former, on ne retrouve pas dans les statistiques de différence significative entre seniors et 30-59 ans : environ 7% des internautes les fréquentent (contre 26% chez les 15-19).

C’est le plus souvent au cours de leur scolarité, leurs études, que les internautes « actifs modestes » sont venus sur Internet, même si au total ils sont beaucoup moins nombreux que les autres internautes à être dans ce cas. 1 internaute sur 4 est un « actif modeste ». Pour cette cible, le rôle de l’entourage, notamment du foyer, n’est pas négligeable, il concerne 1 cas sur 4. Et 19% se sont formés de manière totalement autonome (contre 12%). En revanche la sphère professionnelle est plus discrète au niveau de la formation, et ce, aussi en matière d’accès. Sur les 192 ouvriers internautes interrogés par exemple, seuls 50, soit un quart, déclarent accéder à Internet sur leur lieu de travail.

3.2. Usages de l’ordinateur et d’Internet

Nos seniors internautes ont une fréquence moyenne de l’usage de l’ordinateur légèrement moins importante, dans le sens où ils sont moins nombreux à utiliser quasiment tous les jours mais, notons toutefois, que 90% l’utilisent au moins une fois par semaine.

A la lecture du graphique qui suit, on constate que leur usage en est beaucoup moins multimédia.

Ils aiment ainsi transférer, regarder, retravailler des photos numériques [13] . Remarquons aussi que cet usage à partir de photos est souvent à l’origine de leur venue à l’informatique.

Dans le but de se divertir ou de conserver leurs savoirs, ils jouent également sur ordinateur, soit à l’aide de jeux déjà installés, soit à l’aide de logiciels [14]

Bien sûr certains utilisent des applications bureautiques type traitement de texte et tableur (1/3 toutes les semaines).

En revanche, si ils regardent des films, écoutent de la musique, ce n’est pas comme beaucoup d’étudiants via leur ordinateur.


En matière d’Internet :

 Les seniors internautes sont des internautes communicants.
72% échangent toutes les semaines des mails, 83% tous les mois. Ils sont aussi nombreux que les autres à se servir de téléphonie ou visiophonie du type Skype. Par contre, ils sont un peu moins enclins à converser par messagerie instantanée du type MSN ou Yahoo messenger : 68% ne l’ont jamais fait, contre 40% des autres internautes. Il est important à ce sujet de noter que cet objectif de communication est souvent aussi à l’origine de l’utilisation de l’ordinateur. Fréquents sont les cas où les seniors restent ainsi en contact avec un membre de leur famille, notamment un petit-enfant, géographiquement éloigné. D’autres en profitent, par exemple, pour renouer contact avec d’anciennes connaissances.

 Les seniors internautes sont des internautes à la recherche d’informations.
Ils se servent beaucoup des moteurs de recherche (51% quasi quotidiennement), pas forcément pour trouver de l’information locale, de l’information administrative mais plutôt des informations en relation avec leurs hobbies ou avec la santé. Ils sont 20% à déclarer lire ou télécharger quotidiennement l’actualité sur Internet, 3% à écouter la radio ou regarder la télévision sur le Web.

 Les seniors internautes sont peu contributeurs.
Ils n’ont pas pour habitude, à 87%, d’utiliser les groupes de discussion ou forums, ni même aller sur des blogs ou wikis. D’ailleurs, alors que 20% des autres internautes alimentent un site, un blog ou une page personnelle et 18% sont présents sur un réseau social, 98% des seniors internautes ne le sont pas.

 Les seniors internautes sont peu joueurs en ligne
Nous avions constaté plus haut dans l’article qu’ils aimaient se distraire en jouant mais cela ne concerne pas les jeux en ligne type flashmédia, sudoku, encore moins ceux en réseau type warcraft, counter strike. 99% des seniors internautes ne jouent jamais en réseau.

 Les seniors internautes sont peu attirés par le commerce (au sens large) en ligne.
47% ont pour habitude de ne pas commander des produits ou des services en ligne, 75% ne sont même jamais allés sur un site d’enchère du type e-bay. 55% seulement effectuent des consultations ou des opérations bancaires en ligne.

Comme l’indique le tableau qui suit, les « actifs modestes » internautes présentent aussi des spécificités dans leur usage d’Internet, il semblerait que ces dernières résident davantage dans la fréquence et l’utilité qu’ils peuvent en tirer. On note une proportion moins importante d’utilisateurs quotidiens de l’ordinateur et d’utilisateurs de logiciels bureautiques, même si autant se connectent de leur domicile. Et ils ont, en particulier, tendance à davantage être présents sur le net pour :

 s’informer au mieux de la législation (cas de 3 actifs modestes sur 4),

 trouver des acheteurs pour les produits qu’ils souhaitent vendre (cas de 1 actif modeste sur 4).

Tableau 3 - Similarités et différences d’usages entre internautes actifs modestes et autres internautes

moins nombreux à être utilisateurs pas de différence significative entre les actifs modestes et les autres utilisateurs plus nombreux à être utilisateurs
Applications bureautiques Recherches (dont vie locale et santé) Sites administratifs
Films, musique, vidéos Opérations bancaires, impôts Ventes sur les sites d’enchère
Photos Radio, TV Rencontres en ligne
Jeux sur ordinateur, en ligne Forums
Courriels Création multimédia
Messagerie instantanée, visiophonie Téléchargement
Actualité
Réseaux sociaux, blogs
Achats/commandes

Si les revenus peuvent être un frein ou une manière de rationaliser les choix et les priorités, il n’y a pas de réelle discrimination en terme d’usages. On note juste que l’usage des « faibles revenus » est alors un peu moins régulier : plutôt quelques fois par semaine que quotidiennement.

De même les usages des « isolés socialement » ne sont pas spécifiques, si ce n’est que ceux-ci ont moins d’activités régulières sur Internet et l’ordinateur. Et que 54%, contre 38%, ne suivent jamais l’actualité en ligne. Peut-être passent-ils plus de temps sur Internet ? .

Les « isolés socialement » ont une consommation d’images peu « plurimédia ». Ils sont des très gros consommateurs de télévision : 23% passent plus de quatre heures par jour devant celle-ci (versus 9%). En revanche, ils visionnent peu de DVD. Leurs arbitrages entre pratiques anciennes, mais toujours vivaces (regarder la télévision, aller au cinéma), et pratiques nouvelles, en développement (regarder des DVD, surfer le Net, y télécharger des contenus ou simplement les visionner), sont vite faits.

3.3. Niveau d’aisance

Que ce soit pour utiliser l’ordinateur ou Internet, les 4 types de publics éloignés se déclarent beaucoup moins à l’aise que la moyenne observée sur l’ensemble des internautes (tableau 4). La différence est même plus flagrante pour les « isolés socialement » et surtout les seniors (voir tableau 5 et paroles de seniors internautes).

Tableau 4 - Scores d’aisance

Seniors Actifs modestes Faibles revenus Isolés socialement Moyenne internautes
score d’aisance ordinateur 2,49 3,07 3,12 2,88 3,40
score d’aisance Internet 3,11 3,48 3,32 3,15 3,92

Tableau 5 - Comparaison de l’aisance des seniors et des autres internautes sur les activités informatiques

taux de seniors internautes à l’aise taux d’autres internautes à l’aise
Activités ordinateur
Utiliser des fonctions copier/coller dans un document 65% 85%
Utiliser des formules (type addition, soustraction ...) dans un tableur (Excel par exemple) 37% 61%
Copier ou déplacer des fichiers ou des répertoires 61% 80%
Assurer le bon fonctionnement de sa machine (espace disque, antivirus à jour ...) 38% 58%
Installer un programme, un jeu 41% 70%
Ecrire un programme dans un langage informatique / faire de la programmation 7% 11%
Activités Internet
Utiliser le courrier électronique, les mails 87% 93%
Joindre un fichier dans un courrier électronique 74% 88%
Utiliser un moteur de recherche 95% 97%
Télécharger une application 51% 73%
Installer une application téléchargée 45% 69%
Créer, mettre à jour un site Web 12% 20%
Paroles de seniors internautes


« Ce sont mes enfants qui m’ont offert l’ordinateur et m’ont montré »
« Mon ordinateur : un bon compagnon. Avec lui, je ne suis plus seule »
« Mon seul usage : je communique avec mes petits enfants à l’autre bout de la Terre »
« Je visite des sites qui sont en rapport avec mes préoccupations (ex. Doctissimo, où je peux glaner des conseils d’autres internautes sur des questions de santé), mon identité (ex. origine de mon nom de famille, nombre de personne en France portant mon prénom, etc.). Je consulte la météo tous les matins. J’ai également visité le site Pensemalin.com où il y a des devinettes, des petites anecdotes. Je joue aussi aux jeux tels que le solitaire »
« Je fais du traitement de texte. Après un passage à l’hôpital j’ai décidé d’écrire mon autobiographie. J’enregistre et grave des CD empruntés à la médiathèque. Je fais des recherches en fonction de mes besoins (bricolage, voiture ...) »

4. Être ou ne pas être internaute

Rapidement, nous évoquerons, pour chaque public, les caractéristiques socio-économiques qui font que l’individu se révèlera plutôt être non internaute (partie 2 de cet article) ou internaute (partie 3 de cet article).

4.1. Les seniors

En faisant appel à une technique d’économétrie (la régression logistique), sur la base des 60 ans et plus, il nous est possible de déterminer quelles sont les caractéristiques socio-économiques déterminant ou non de l’usage d’Internet.

Les variables que nous avons testées sont :

 liées à l’individu : sexe, âge (60-64 ans, 65-69 ans, 70 ans et plus), ancienne profession (aisés, moyens, modestes), niveau d’études (sans diplôme ou BEPC, BEP/CAP / Bac et +), mais aussi score de vie sociale ( fréquence de rencontre d’amis, de proches, activités culturelles, activités sportives), niveau de temps libre, score d’usage d’autres technologies (téléphone portable, lecteur DVD, home cinéma, appareil photo numérique, GPS, MP3 ...)

 liées à son foyer : type de foyer (personne seule, autre), département, taille d’unité urbaine, niveau de vie (opinion)

 liées à son entourage : usage d’Internet.

On en conclut alors, que si le senior n’utilise pas déjà un appareil photo numérique, un caméscope, un GPS, la probabilité qu’il se révèle un non utilisateur de l’ordinateur et d’Internet est grande. Ainsi, un senior qui utilise de 0 à 2 éléments technologiques aura 58 fois plus de chances d’être non internaute qu’un senior avec un score élevé. Si il utilise davantage de technologies numériques, notamment le téléphone portable, le lecteur DVD, cette proportion diminuera à 6 fois plus de chances.

Prime ensuite le niveau d’études. Les proportions sont de :

 4 fois plus de chances pour le senior sans diplôme ou avec un BEPC,

 2 fois plus de chances pour le BEP/CAP,
qu’un senior diplômé du bac ou plus.

L’âge reste un facteur structurant d’usage. Si les 70 ans et plus ont un poids de 57% chez les seniors, leur poids passe à 68% chez les seniors non internautes. Ainsi, une personne âgée de 70 ans et plus aura 5 fois plus de chances qu’une personne entre 60 et 65 ans de ne pas utiliser.
Enfin, l’ancienne profession joue également un rôle primordial. Les seniors ayant exercé une profession de type « modeste » (ouvriers, agriculteurs exploitants ou sans aucune profession) ont 4 fois plus de chances que les « aisés », anciens cadres, chefs d’entreprise, artisans, commerçants. Quant aux professions classées comme « moyennes », la proportion chute à 3 .

4.2. Les « actifs modestes »

Pour cette cible également, l’utilisation d’autres produits technologiques est toujours un facteur important d’usage d’Internet. De même pour l’âge. Le graphique qui suit est d’ailleurs éclairant : si les 50-59 ans représentent 24% des actifs modestes, les 50-59 ans non internautes représentent à eux seuls 51% des actifs modestes non internautes.

En revanche le troisième facteur concerne la sociabilité. Ainsi, un « actif modeste » qui n’a pas pour habitude de sortir aura 4 fois plus de chances qu’un « actif modeste » dit « sociable ».

Enfin on retrouve évidemment aussi le niveau d’éducation : 58% des sans diplôme n’utilisent pas Internet contre 14% des diplômés du bac ou plus.

4.3. Les « faibles revenus », les « isolés socialement »

Si la technophilie importe toujours,

 pour les « faibles revenus » : l’âge n’importe plus, étant effacé par la présence d’enfants dans le foyer qui se révèle être un meilleur prédicteur. Si on y ajoute niveau d’études et la sociabilité, on peut prédire de l’usage, ou du non usage, de manière juste, pour 94% des cas.

 Pour les « isolés socialement » : âge et présence d’enfants importent.

5. Conclusion

Dans cet article, en revenant sur divers groupes socio-économiques défavorisés, nous avons une fois de plus mis en évidence l’hétérogénéité de la fracture numérique. Parmi ces multiples facettes, ses formes générationnelles, économiques, sociales et culturelles y ont été exposées à travers les rapports aux TIC de 4 segments de population souvent considérés comme éloignés.

Âge, niveau d’éducation sont toujours des facteurs forts de l’accès à la société de l’information. Rappelons-le : lorsque seulement 7% des 25-34 n’utilisent pas Internet, près de 60% des 50-59 ne l’utilisent pas. Moins d’une personne non diplômée sur trois peut être qualifiée ’d’internaute’, alors que 92% des diplômés de l’enseignement supérieur surfent sur Internet d’une façon ou d’une autre. L’acculturation à la technologie aussi joue un rôle prépondérant. Elle passe par d’autres éléments ou technologies numériques, qui, par la suite, peuvent servir de passerelle vers l’usage Internet. Sans compter l’isolement social, également facteur de rupture numérique.

Il apparaît, une fois de plus, clairement, que les multiples fractures numériques sont liées à la diversité de situations socio-économiques. La fracture numérique n’est pas qu’une conséquence des inégalités sociales et économiques existantes, elle est aussi liée aux diverses personnalités des individus, notamment à la volonté ou non de s’impliquer dans des usages d’Internet. Les seniors et les « faibles revenus », voire les « isolés socialement » apparaissent le plus souvent comme des non utilisateurs « non informés et non motivés » tandis que les « actifs modestes » le sont davantage mais manquent de temps à consacrer au numérique.

L’accès et l’usage restent freinés par les conditions financières pour les populations à faibles revenus. En revanche, il faut prendre en compte de nombreux autres freins, notamment pour les autres segments de population de non internautes. Ainsi, certains, souvent isolés socialement, lui préféreront la télévision, d’autres, souvent des seniors seront davantage intéressés par le maintien de leurs savoir-faire que l’investissement dans une nouvelle expérience. L’exclusion financière, par contre, ira de pair, le plus souvent, avec une perception négative de l’aptitude de l’individu à pouvoir utiliser Internet.

Pourtant, pour les seniors, l’accès au savoir numérique peut se révéler valorisant, notamment en améliorant leur sociabilité et leur autonomie (usage des jeux cognitifs, de tableurs, de logiciels de photos ...). Les seniors internautes , tout comme les actifs modestes, sont des internautes peu réguliers et à l’aise avec des usages ayant un but (les relations commerciales ou administratives). Si les revenus restent un frein ou une manière de rationaliser les choix et les priorités, il n’y a pas de réelle discrimination en terme d’usages.

La fracture numérique est trop souvent résumée comme liée à une « souffrance économique impactante » ou à une situation économique et financière précaire ou détériorée. Nous venons de montrer que le niveau d’éducation l’emporte sur les revenus, même si, à niveau de diplôme égal, les plus faibles revenus présentent encore des retards importants au niveau usage.

Nous espérons que les divers acteurs de la lutte contre l’exclusion numérique trouveront dans cette version de nouveaux éléments. Des pistes d’action spécifiques à chaque segment pourraient en émerger : qui une aide financière à l’achat et/ou l’abonnement, qui une aide financière à l’accompagnement, qui une formation ciblée, qui une information sur les usages de ses semblables, qui une information sur le rôle imparti de prescripteur, qui une campagne publicitaire ciblée, qui une action de sensibilisation sur l’existence de versions simplifiées de l’accès à Internet (type ordissimo) ou de logiciels adaptés (type reconnaissance vocale, agrandissement de l’écran) ... (sans exclure les politiques combinées).

Notes

[1GROS-JEAN CH. PADIEU C. Les exclus, Revue des Affaires sociales, 1995, n°2-3

[2« La fracture numérique : une faille sans fondement ? » selon Alain Rallet et Fabrice Rochelandet

[3« Access denied », Outlook, vol 8, n°1

[4« La fracture numérique : une faille sans fondement ? » selon Alain Rallet et Fabrice Rochelandet

[5chiffres issus du Baromètre « La diffusion des technologies de l’information et de la communication dans la société française » édition 2008 du Crédoc

[6« Une double fracture numérique » selon Fabrice Le Guel, Thierry Pénard et Raphaël

[7ec.europa.eu/.../kaplan_report_einclusion_final_version.pdf

[8ec.europa.eu/.../kaplan_report_einclusion_final_version.pdf

[9Pour comparaison, l’enquête Crédoc de 2008 annonce des taux de 62% chez les 60-69 ans et 87% chez les 70 ans et plus, n’utilisant pas personnellement d’ordinateur à leur domicile.

[10Voir par exemple la typologie proposée par Lenhart dans « The ever-shifting Internet population. A new look at Internet access and the digital divide »., Washington, The Pew Internet and American life project, april 16, 2003, comprenant 4 profils de non-usagers : les evaders ( « ceux qui se dérobent »), les dropouts (« ceux qui renoncent », autrement dit les abandonnistes), les intermittent users (« intermittents de l’usage ») et les truly unconnected (« non-usagers absolus » ).

[11Proportions significativement différentes au sens statistiques , suite à un test de comparaison avec un seuil de confiance de 99%.

[12Un des postulats étant que : « plus la maîtrise est importante, plus les individus tendent à avoir un rapport instrumental aux Tics, qui ne servent qu’une activité dont la finalité est autre (professionnelle, projet) »

[13Nous citerons l’exemple d’une personne de plus de 80 ans rencontrée dans l’espace public du quartier brestois de Kérourien en train de supprimer sur une photo son mari à ses côtés pour le remplacer par un playboy

[14Ainsi, la personne de plus de 80 ans citée précédemment a pour habitude de travailler son calcul mental à l’aide d’Excel. .

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