La question du téléchargement fait l’actualité des débats
parlementaires. Les représentants politiques qui défendent
l’interdiction du téléchargement ont choisi d’axer leur
argumentation autour de la question du respect des artistes et des droits d’auteur. D’ailleurs, le choix du nom de la loi « création et Internet », défendue par la ministre actuelle de la culture Christine Albanel implique que le souci du respect de la création artistique,
donc des artistes, est au centre du projet. Les dirigeants politiques actuels considèrent aussi que le téléchargement nuit à la création artistique car il diminuerait la rémunération des artistes.
Apparemment, l’industrie du disque serait actuellement dans une situation économique plutôt défavorable. Nous allons voir que d’autres études vont également à l’encontre de ce postulat et soulignent qu’imputer les causes de la crise aux seules pratiques de téléchargement illégal c’est être dans la capacité de raisonner « toutes choses égales par ailleurs ». L’étude des pratiques culturelles nous amènent à modérer la proposition selon laquelle le téléchargement illégal demeure la cause des difficultés de l’industrie du disque aujourd’hui.
Le bien culturel a ceci de particulier : il est public et non rival (Cohen, 2007). Nous ajouterions une autre dimension, il est « entraînant », c’est-à-dire que plus un usager va consommer du bien culturel, et plus il va être en demande de biens culturels. La consommation de biens culturels n’est donc pas concurrentielle, mais entre plutôt dans un cercle vertueux de consommation. Cette proposition se vérifie tant par des précédents pris dans l’histoire récente du 20ème siècle, que par les statistiques actuelles sur les pratiques culturelles.
Ainsi, l’arrivée de la radio a pu être perçue comme une concurrence pour l’achat de musique enregistrée, et l’industrie du disque s’est sentie menacée. « Dès 1922, la diffusion de musique gratuite à la radio est perçue comme une menace par l’industrie phonographique » (Bourreau et al. 2004 p.23). Seulement, a posteriori, le constat est sans appel : en diffusant gratuitement de la musique enregistrée, la radio a certainement plus servie l’industrie du disque qu’elle ne l’a gênée. On peut même faire l’hypothèse qu’elle a réellement servi la promotion des artistes, assurant ainsi une certaine forme de publicité, et augmentant la vente de disques. Quand la possibilité d’enregistrer de la musique via les cassettes est apparue, l’industrie du disque a également craint pour son avenir.
« Une étude réalisée par CBS en 1980 soutient que la copie de musique sur cassettes vierges coûte des centaines de millions de dollars à l’industrie du disque. La RIAA lance alors une campagne intitulée “Home Taping Is Killing Music” (“les copies sur cassettes tuent la musique”) et milite pour le reversement d’un montant perçu sur les ventes de supports vierges. Toutefois, une étude du Copyright Royalty Tribunal publiée la même année indique que les utilisateurs de cassettes audio sont également les plus gros acheteurs de disques » (Bourreau et al. 2004, p.29). Si l’on part de l’hypothèse que le bien culturel est « entraînant » (ce que démontre l’étude citée par Bourreau et al.) la vente de cassette vierge n’a pu qu’être favorable à l’achat de disque.
Ensuite, les récentes études statistiques font très souvent le lien entre téléchargement et loisirs culturels. En un mot, les personnes qui vont le plus au cinéma ou au concert, qui achètent plus souvent des CD ou des DVD, sont également celles qui téléchargent plus fréquemment. Une récente enquête réalisée en Bretagne auprès de 2001 individus confirme cette hypothèse.