L’enquête Entreprises 2021 est soutenue par la Région Bretagne. Cela a permis d’interroger 11400 entreprises bretonnes et de collecter les réponses de 1529 d’entre elles. Cette enquête a été passée auprès des entreprises de 10 salariés et plus entre le 15 mars et le 8 avril 2021.
Cette note a pour objectif de faire un état des lieux des stratégies d’innovation des entreprises et de tester le lien entre ces stratégies et les pratiques des entreprises en termes de RSE.
Ce document s’appuie sur des résultats issus du projet de recherche NAIDE (Le numérique pour accompagner l’innovation durable des entreprises), financé par Marsouin en 2021.
Avec la montée en puissance des attentes sociales et environnementales, la RSE (Responsabilité Sociétale des Entreprises) constitue un nouvel enjeu pour les entreprises de toutes tailles. L’étude du lien entre la RSE et l’innovation a fait l’objet de différents travaux de recherche (Bocquet et al., 2013 ; Temri et al., 2015 ; Bertrand et al., 2020). D’un côté, les entreprises plaçant la RSE au cœur de leur stratégie sont plus susceptibles d’innover tant dans les produits que dans les processus (Bocquet et al, 2013 ; Bertrand et al., 2020). La mise en place d’une politique RSE peut en effet constituer un catalyseur d’innovation car elle donne l’opportunité de questionner les pratiques existantes (Broadstock et al, 2019). D’un autre côté, le caractère innovant des entreprises influence l’intensité de la démarche RSE (Temri et al., 2015 ; Le Bas et al., 2010).
Enfin, le numérique ayant été identifié, dans d’autres contextes, comme un outil au service de l’innovation (Deltour et Lethiais, 2014) et de la RSE (Merlet, 2020), les travaux réalisés dans le cadre du projet de recherche NAIDE ont pour but de déterminer dans quelle mesure le numérique favorise la prise en compte des enjeux en termes de développement durable dans l’innovation des entreprises, notamment les PME.
Dans cette note, nous interrogeons le lien entre RSE et innovation dans les entreprises bretonnes ainsi que le rôle joué par le numérique dans la prise en compte de l’impact des innovations en termes de RSE.
Des entreprises moins innovantes qu’en 2015
Le graphique 1 permet de comparer les stratégies d’innovation des entreprises issues de l’enquête Marsouin réalisée en 2021 à celles obtenues sur la précédente enquête Marsouin réalisée en 2015.
Alors qu’en 2015, près de la moitié des entreprises interrogées déclaraient avoir innové en produits ou en procédés dans les deux dernières années (Lethiais, 2015), cette part tombe à 39,7% en 2021. La part des entreprises qui innovent en procédés reste relativement stable entre les deux périodes (31,9% en 2021 contre 30,2% en 2015), mais la part des entreprises qui innovent en produits a diminué de plus de 10 points (30,9% en 2021 contre 41,5% en 2015). Cette diminution notable de la part des entreprises innovantes est également observée sur l’ensemble des entreprises françaises de plus de 10 salariés par le biais de l’enquête CIS 2018, sans que des facteurs explicatifs ne puissent être précisément identifiés (INSEE, 2020). Les taux d’innovation des entreprises bretonnes restent comparables à ceux observés au niveau national pour ce qui est des innovations en procédés (33% sur l’ensemble de la France), alors que les innovations de produits restent en Bretagne à un taux plus élevé (25% sur l’ensemble de la France), malgré le recul constaté.
Les conditions sanitaires connues en 2020 constituent une piste explicative de la baisse récente des innovations en produits : il est difficile de lancer sur le marché de nouveaux produits ou services, au regard de l’incertitude économique et des adaptations des modes de consommation connus. Inversement, la crise sanitaire ne semble pas avoir affecté les innovations de procédés engagées en interne. Cependant, ces facteurs explicatifs du recul global de l’innovation ne valent pas pour le constat de baisse fait au niveau national, avant même la crise sanitaire (INSEE, 2020).
Une réelle prise en considération de l’impact de ses innovations en termes de RSE
Le graphique 2 met en évidence la prise en compte de l’impact des innovations sur les trois dimensions de la RSE abordée dans le questionnaire : l’environnement (consommation énergétique, émissions de CO2, déchets...), la qualité de vie au travail (pénibilité, santé-sécurité au travail…) et le développement local (création ou maintien d’emplois locaux, priorité aux fournisseurs et partenaires locaux, engagement dans la vie locale…). La quasi-totalité des entreprises déclare prendre en considération l’impact de leurs innovations sur chacune de ces dimensions. C’est même une préoccupation prioritaire pour la majorité d’entre elles. Parmi ces trois volets, c’est la qualité de vie au travail qui semble être le plus souvent une priorité pour les entreprises interrogées avec 73,3% d’entre elles qui déclarent que c’est une préoccupation prioritaire lors des innovations, contre 58,8% pour le développement local et 53,9% pour l’environnement.
L’agrégation de ces données permet de montrer que 80% des entreprises considèrent que la prise en compte simultanée des trois dimensions dans leurs innovations est une préoccupation.
Des actions concrètes mises en œuvre par les entreprises en termes de RSE
Le graphique 3 présente les actions mises en œuvre pas les entreprises interrogées, parmi une liste de huit actions. Pour chacune des actions, les répondants ont pu préciser si celle-ci était à leur initiative ou bien en réponse aux besoins ou exigences de certains partenaires.
L’action la plus largement adoptée est le tri sélectif et le recyclage des déchets (90% des entreprises), conformément à la réglementation qui l’impose aux structures de 20 salariés et plus. Viennent ensuite la mise en place d’une politique de sécurité et/ou de bien-être des salariés qui va au-delà des exigences réglementaires (71% des entreprises) ; puis la politique d’économie d’énergie et/ou de réduction de la pollution de l’air, l’eau, les sols, etc. (69% des entreprises). Dans la plupart des cas, chacune de ces actions est mise en place à l’initiative de l’entreprise, les partenaires n’ayant que peu d’influence sur ces pratiques.
Afin de cerner la stratégie RSE des entreprises de manière plus globale, nous avons calculé un score RSE qui somme le nombre d’actions mises en œuvre. Ce score, présenté dans le graphique 4 fait apparaître une distribution centrée autour de 4-5 actions avec une petite moitié des entreprises (47%) qui mettent en place 4 actions et moins, et une grosse moitié (53%) qui en mettent en place au moins 5 actions.
Un lien clair entre la stratégie d’innovation et la démarche RSE
Afin de tester le lien, mis en évidence dans la littérature (Bocquet et al, 2019), entre la stratégie d’innovation des entreprises et leurs pratiques en termes de RSE, nous avons regroupé les scores RSE en 3 catégories (2 actions et moins ; entre 3 et 5 actions ; 6 actions et plus) et avons croisé cette nouvelle variable avec la stratégie d’innovation. Un test de Khi 2 nous permet de valider la dépendance entre ces deux variables. Le graphique 5 fait apparaître la répartition de ce score RSE en trois catégories en fonction de la stratégie d’innovation des entreprises.
La part des entreprises qui ont des scores RSE élevés (6 actions et plus) est plus importante parmi celles qui innovent en produits et en procédés (51%) que sur l’échantillon total (36%) et à l’inverse plus faible parmi celles qui n’innovent pas (28%). Le symétrique est vrai : la part d’entreprises avec des scores RSE très faibles (2 actions et moins) est plus importante parmi les non innovantes (23%) que parmi l’ensemble (18%) et plus faible parmi les plus innovantes (7%).
Un rôle souvent déterminant du numérique dans les innovations
Afin d’aborder la question du rôle du numérique dans la prise en compte des différentes dimensions de la RSE dans leur stratégie d’innovation, les entreprises ont été interrogées sur le rôle joué par le numérique dans leurs innovations. Cette information a été croisée avec la prise en compte de l’impact des différentes dimensions de la RSE dans leurs innovations.
Le graphique 6 souligne que près de la moitié des entreprises ayant innové en produits déclarent que le numérique a joué un rôle déterminant dans cette/ces innovations et ce pourcentage atteint 60% dans le cas des innovations de procédés.
Ce résultat est conforme à ce qui avait été mis en lumière en 2015 sur les PME bretonnes (Lethiais, 2015). Il confirme aussi les résultats issus de l’enquête CIS réalisée en 2018 sur un échantillon national : l’INSEE (2020) identifie un impact positif du numérique sur l’innovation qui s’apprécie sur l’ensemble de la chaîne de valeur : « La volonté d’avoir un système informatique performant, d’offrir de nouveaux services connectés et de saisir les nombreuses opportunités qu’offre le recours au big data stimule l’innovation dans de nombreux secteurs. Dans l’information-communication et les activités financières et d’assurance, la dématérialisation, le développement de nouveaux logiciels, l’analyse de données, l’intelligence artificielle et la cybersécurité sont au cœur des innovations. Dans l’industrie, il s’agit toujours de développer de nouveaux produits, d’utiliser de nouveaux matériaux et d’améliorer les processus de production et de fabrication » (p. 2, 2020).
Un lien entre le rôle du numérique et la prise en compte de la RSE dans les innovations
Les résultats des tests d’indépendance entre les variables de prise en considération de l’impact de ses innovations et les variables de rôle du numérique dans les innovations mettent en évidence un lien entre ce rôle du numérique et la prise en compte de l’impact de ses innovations sur les 3 dimensions de la RSE, mais uniquement pour les innovations de produits (avec une probabilité critique inférieure à 1%). En effet, pour ce type d’innovation, la prise en compte des impacts, sur l’environnement, sur la qualité de vie au travail et sur le développement local est plus systématique parmi les entreprises qui déclarent que le numérique a joué un rôle déterminant dans leurs innovations. Ce résultat n’est pas obtenu dans le cas des innovations de procédé où aucune différence statistique n’est constatée. Notre interprétation se situe à deux niveaux. D’une part, le numérique est plus souvent mobilisé pour les innovations de procédés (Graphique 6) ; d’autre part, la prise en compte de la RSE est principalement associée aux innovations de procédés, comme le montrent des investigations antérieures (Deltour et al., 2020). Le fait que chacune de ces variables soit moins discriminante dans le cas des innovations de procédés peut atténuer un éventuel effet combiné.
Une faible prise en considération de l’empreinte écologique du numérique
Enfin, si l’objectif du projet NAIDE est de questionner le rôle du numérique dans la prise en compte des enjeux en termes de développement durable dans l’innovation des entreprises, il nous a semblé indispensable de questionner l’impact du numérique en termes d’empreinte environnementale. En effet, le secteur du numérique représente une part croissante des émissions mondiales de gaz à effet de serre (The Shift Project, 2018), ce qui peut inciter les entreprises à mettre en place des actions spécifiques. Les entreprises ont donc été interrogées sur la mise en place d’une série d’actions visant à limiter leur empreinte écologique liée au numérique. Les résultats sont synthétisés dans le graphique 7.
Les actions les plus souvent mises en place par les entreprises pour réduire l’impact environnemental de leurs usages numériques sont la limitation de la fréquence de renouvellement de leur matériel informatique et/ou téléphonique (pour 60% d’entre elles) et le paramétrage de la mise en veille des appareils (pour 47% d’entre elles). Les autres actions restent largement minoritaires avec un quart ou moins des entreprises qui les mettent en place.
Enfin, la somme des actions menées, présentée dans le graphique 8, met en évidence la faible étendue de la politique mise en œuvre par les entreprises pour réduire l’empreinte écologique de leurs usages numériques. En effet, 22% des entreprises ne met en place aucune des actions proposées dans l’enquête et une grande majorité (63%) n’en met en œuvre que 2 ou moins.
Conclusion
Ces premiers traitements des données de l’enquête Marsouin menée auprès des entreprises bretonnes, permettent de confirmer le lien, mis en évidence dans la littérature, entre innovation et RSE : les entreprises les plus innovantes sont aussi celles qui ont une stratégie affirmée en termes de RSE. Ils suggèrent l’existence d’un lien, dans le cas des innovations de produits, entre l’accompagnement de ces innovations par le numérique et la prise en compte de leur impact en termes de RSE. Enfin, ils mettent en évidence un faible investissement de la part des entreprises dans la réduction de leur empreinte écologique liée au numérique. Un traitement plus approfondi des résultats de cette enquête ainsi que la combinaison avec l’analyse d’entretiens semi-directifs menés auprès de dirigeants de PME dans le cadre du projet NAIDE permettront de compléter l’analyse et en particulier de mieux comprendre la nature et les déterminants des stratégies d’accompagnement par le numérique des innovations durables.
Bibliographie
Bertrand D., Le Bas C., Mathieu, A., Chapuis, S. M. (2020). Types d’innovation et intensité de l’engagement de responsabilité sociale des entreprises (RSE) : Aspects analytiques et empiriques. Innovations, (2), 221-247.
Bocquet R., Le Bas C., Mothe C., Poussing N. (2019). Strategic CSR for innovation in SMEs : Does diversity matter ? Long Range Planning, 52(6), 1-13.
Broadstock D. C., Matousek R., Meyer M., Tzeremes N. G. (2019). Does corporate social responsibility impact firms’ innovation capacity ? The indirect link between environmental & social governance implementation and innovation performance. Journal of Business Research, 1-12.
Deltour F., Lethiais V. (2014). L’innovation en PME et son accompagnement par les TIC : quels effets sur la performance ? Systèmes d’Information et Management, 19(2), 44-72.
Deltour F., Lethiais V., Mazari, L. (2020). Innovation et RSE dans les PME : premières analyses. 4 Pages de Recherche Marsouin.
INSEE (2020). Le numérique stimule l’innovation dans le secteur tertiaire. INSEE Premières (https://www.insee.fr/fr/statistiques/4644935?sommaire=4637870)
Le Bas C., Poussing N., Haned N. (2010), Innovation, leadership technologique et comportements de responsabilité sociale. Une exploration sur données d’entreprises, Economies et Sociétés, série « Dynamique technologique et organisation », W, 12, 1363-1385.
Lethiais V. (2015). Innovation et numérique dans les PME bretonnes : quels liens ? 4 Pages de Recherche Marsouin.
Merlet, J. (2020). Transformation numérique des entreprises, innovation et Responsabilité Sociale d’Entreprise (RSE). Thèse de doctorat. Université Rennes 1.
Temri, L., Giordano, G., & Kessari, M. E. (2015). Innovation et responsabilité sociale des entreprises (RSE) dans les entreprises agroalimentaires du Languedoc-Roussillon : le rôle de la performance économique. Innovations, (1), 115-139.
The Shift Project (2018), Pour une sobriété numérique, rapport réalisée avec le soutien de l’Agence française de développement et la Caisse des dépôts (88 pages).