Quelle offre et quel usage de l’administration électronique en Bretagne ?

, par Godefroy Dang Nguyen, Jocelyne Trémenbert

Un éclairage confrontant l’offre en matière d’e-administration et les usages qui en sont faits du côté des particuliers et des entreprises à l’aide des divers terrains d’enquêtes de l’observatoire Opsis de M@rsouin

En septembre 2007 déjà, les résultats d’une étude publiée par Capgemini pour le compte de la Commission européenne annonçaient qu’ « aujourd’hui, 58 % des services publics sont entièrement accessibles par Internet en Europe » , « la France apparaissant en septième position, avec 70 % de ses services publics sur Internet ». D’autant plus que « près d’un Français sur deux et les trois quarts des internautes ont utilisé les services publics en ligne en 2007 ». « Les Français plébiscitent la télédéclaration des revenus, le changement d’adresse en ligne et les demandes d’envoi d’extraits d’actes de naissance ».

Aujourd’hui, plus d’un an plus tard, nous avons souhaité à travers les divers terrains d’ enquêtes M@rsouin présenter un éclairage en confrontant l’offre en matière d’e-administration et les usages qui en sont faits du côté des particuliers et des entreprises.

Principaux résultats

Les programmes d’administration électronique [1] mis en place tendent à généraliser les formalités administratives en ligne (pour les impôts, les déclarations sociales ...) et les dispositifs d’identification et d’authentification (servant au niveau du contrôle de la légalité, des appels d’offres), mais de nombreux efforts restent à faire tout simplement dans les étapes premières de l’administration électronique au service des particuliers et des entreprises.

Ainsi, les mairies pourvues d’adresses mails n’organisent pas nécessairement un dialogue électronique avec leurs administrés ou les associations. De même, si de nombreuses communes possèdent un site web propre ou mutualisé dans le cadre de l’intercommunalité, il en reste encore 6 sur 10 en « fracture numérique », qui n’en n’ont pas. Or notre enquête montre que la possession d’un site est un premier pas, une condition nécessaire mais pas suffisante pour lancer véritablement l’administration électronique, car elle cristallise un savoir faire interne au sein de la collectivité locale vis à vis des technologies de l’information et de la communication.

Du reste parmi les 40% de communes disposant d’un site, peu proposent des télé-services. Et le même constat peut être fait au niveau des communes inscrites dans le processus de dématérialisation des marchés publics.

Les mairies n’organisent pas non plus de dialogue électronique avec les entités administratives (sous forme d’échanges de documents, de flux de données). Ce dialogue, demanderait pour beaucoup une certaine organisation, voire une réorganisation de la distribution de l’information.

En plus d’être productrices de services d’administration électronique, les communes se trouvent en situation de consommatrices de services elles-mêmes. De faibles consommatrices numériques quand on sait qu’elles sont nombreuses à ne pas avoir encore saisi par exemple l’intérêt de l’obtention de certificats électroniques. Alors quant à les diffuser au niveau des décisionnaires pour les communes de taille importante.

Les entreprises, sont, elles, mieux équipées en certificats électroniques (davantage les petites et moyennes entreprises que les très petites). Il leur reste néanmoins des progrès à faire, progrès qui peuvent aussi être réalisés dans les tous premiers pas vers l’e-administration : tout simplement par une meilleure utilisation des informations disponibles sur les sites publics, par un recours plus systématique aux nombreuses procédures mises en place à leur effet.

Le croisement des résultats concernant l’offre de services électroniques par les communes (enquête « communes ») et ceux relatifs aux pratiques d’usage des individus (enquête « individus ») et des entreprises (enquête « entreprises ») pourrait en théorie permettre de repérer les cercles vertueux éventuels entre la croissance de l’offre et celle de la demande. Mais la base statistique est trop limitée et ne permet pas un tel croisement. Tout au plus convient-il de signaler que même si la commune est dotée d’un site Web, ses administrés (interrogés) n’ont pas un comportement différent de leurs collègues vivant dans une commune sans site, aussi bien en matière de recherche d’informations administratives ou sur la vie locale, que vis à vis de leur fréquence d’usage d’Internet.


Offre en matière d’e-administration :

Les services que l’administration peut fournir en ligne sont de diverses natures : elle peut transmettre de l’information (individuellement par courriel ou collectivement par un site web), mettre à disposition des formulaires sous forme électronique, donner accès en ligne aux procédures de marché public.

Donner la possibilité aux administrés d’échanger par courrier électronique

D’après l’Agence pour le Développement de l’Administration Eléctronique, l’ADAE, "l’administration électronique doit permettre aux usagers de ne plus se déplacer de guichet en guichet ». Aussi pouvoir échanger par mail avec sa mairie constitue pour un individu une étape primordiale. Or si 97% des mairies ont déclaré posséder (au moins) une adresse de courrier électronique, le courriel reste un outil marginal de contact, par opposition au contact physique et au téléphone : 1 commune sur 4 seulement déclare recevoir des mails de ses administrés de façon hebdomadaire. Plus précisément 74% des communes de plus de 3500 habitants, 37% des communes de 1000 à 2000 habitants et 17% des communes de moins de 1000 habitants ont au moins un courriel par mois.

De plus en plus, les élus veulent que la réponse à un mail se fasse aussi par mail ... si cela est possible (« si le sujet s’y prête », « pour des réponses sans conséquences sinon on fait un courrier officiel ») ... et pour certaines mairies si « l’usager est identifié ». Elles sont 9 sur 10 à déclarer une réponse par mail. Mais 7 sur 10 seulement déclarent envoyer au moins occasionnellement un courrier électronique accusant réception, et à peine 16% le font systématiquement. Cet exemple montre une compréhension insuffisante du rôle que peuvent jouer les TIC. L’accusé de réception électronique pourrait être automatisé et contribuer ainsi à favoriser le dialogue avec les administrés qui en retireraient le sentiment d’être pris en considération, car leur requête aurait été reçue.

Proposer de l’information et des services via un site Web communal

Toutes les communes de Bretagne ne possèdent pas un site web, loin de là. Selon l’enquête 2005, 37% des communes étaient équipées d’un site propre, c’est-à-dire non partagé avec l’intercommunalité. En 2007 ce taux n’a guère évolué, étant de 40%. En ajoutant les sites partagés pour lesquels la commune se charge elle même de la mise à jour du contenu des pages, la présence sur le la « Toile » est une réalité pour 44% des communes.

La taille de la commune est le principal déterminant de la possession d’un site : plus elle est importante, plus la proportion de communes équipées d’un site Web propre est forte, comme on peut le noter sur le tableau qui suit. On y voit également que, la proportion de petites et très petites communes équipées d’un site Web est basse ou très basse, mais surtout n’a pas évolué en deux ans. Tout se passe comme si ces communes (à l’exception d’une minorité) avaient fait le choix, une fois pour toute, de ne pas posséder une présence en ligne. Ce faisant, elles s’excluent de facto d’un mode de communication avec leurs administrés simple et peu coûteux. On peut parler à ce propos de véritable fracture numérique entre les grandes et les petites communes.

La présence déclarée, de personnes (agent dédié ou service informatique, investissement du Directeur des Services Généraux, d’un élu ...) prenant en charge les TIC au sein de la mairie contribue à expliquer ces différences de comportement : 63% des communes déclarant l’existence d’une personne en charge des TIC ont un site Web, alors que la moyenne générale des communes équipées d’un site n’est que de 44%. De même 71% des « communes les plus riches » [2] ont un site Web. Notons enfin que l’implantation géographique contribue aussi à l’adoption d’un site avec de grandes différences entre les départements, les zones rurales par rapport aux zones urbaines et le caractère touristique de la commune : les communes dites touristiques [3] possèdent un site dans 62% des cas.

Au total, la présence sur le Web tend à être un révélateur de la fracture numérique entre communes. C’est un premier niveau pour la mise en place de l’administration électronique, dont les avantages en terme de productivité et de service rendu sont indéniables. Faute de moyen et/ou de volonté politique, les communes « exclues » risquent de se trouver handicapées comme on va le voir maintenant.

Proposer des téléservices pour les documents administratifs

La mise en place de téléservices pour les documents administratifs implique une réorganisation importante des processus internes de la commune. Elle nécessite en particulier une bonne articulation entre bases de données et site Web. Aussi, peu de communes ont entièrement dématérialisé leurs processus et les comportements des communes diffèrent grandement d’une commune à l’autre : 26% donnent des informations en ligne à leurs administrés (et aux autres citoyens) à propos des actes d’Etat Civil, et 3% en ont l’intention. Pour les documents d’identité, les chiffres sont encore plus faibles.

Le tableau 3 montre bien les diverses formes [4] d’informations qu’un citoyen peut obtenir quand il souhaite refaire des actes de naissance, de mariage ou de décès. Si un comportement n’exclut pas les autres (une commune peut très bien renvoyer vers le site service-public.fr tout en complétant par des informations locales), on peut constater que seulement 1 mairie sur 3 équipées précise sur son site Web les premières informations. Quant aux documents d’identité du type passeport, carte nationale d’identité, les mesures relevées sont du même ordre d’idée, légèrement inférieures.

La comparaison des communes avec et sans site montre que la possession de celui-ci est un point d’entrée, une condition nécessaire pour proposer de l’information et des services administratifs en ligne. Le handicap des petites communes s’en trouve accru, et le fait qu’un petit nombre d’entre elles ait pu le surmonter, invite à s’interroger sur les motifs qui empêchent les autres d’en faire autant.

Enfin, un site Web sur dix proposerait également le téléchargement d’autres formulaires concernant les demandes de permis de construire, les déclarations de travaux, les dérogations scolaires, les inscriptions sur liste électorale, à la cantine, ou les demandes de subvention ou de location de salles.

Simplifier les procédures de marchés publics pour les entreprises

La dématérialisation des marchés publics est un vrai enjeu de politique publique, pour faciliter l’accès des PME, pour stimuler la concurrence et pour réduire les coûts de transaction. Or 31% des communes bretonnes ayant répondu à l’enquête ont dématérialisé la remise des offres en 2007, comme le montre le tableau qui suit. Pour comparaison, elles n’étaient que 22% en 2005 à avoir laissé la possibilité aux entreprises de remettre leurs offres sous forme électronique, pour au moins un de leurs marchés.

Pour combien de marchés la remise des offres pouvait se faire de manière électronique ? pourcentage
pas de marché 18%
aucun 52%
moins de la moitié des marchés 17%
la moitié ou plus des marchés 3%
Tous les marchés 11%

Les communes doivent depuis le 1er janvier 2005 se donner les moyens d’accepter les réponses électroniques pour les procédures dites formalisées. Cette étape déjà peu répandue ne constitue pourtant qu’une petite partie de la démarche d’achat public, qui pourrait être entièrement dématérialisée. Si l’appel à la concurrence a davantage tendance a être dématérialisé (par exemple en publiant les informations sur le site Web de la commune), les relations numériques en aval après la notification sont très rares, et ce, que la procédure soit formalisée ou non.

23% des communes déclarent utiliser une solution dématérialisée (propre ou mutualisée au niveau de l’intercommunalité, de la région (plateforme Mégalis) ou nationale (la plus connue étant achat-public.com)), contre 16% en 2005.

Ce sont, sans surprise, des communes de taille importante, souvent urbaines et plutôt riches, au niveau d’équipement TIC élevé et aux usages TIC développés (en interne comme avec d’autres partenaires), qui offrent aux entreprises cette simplification des démarches de réponse à un appel d’offres.

Usages de l’e-administration

Si l’offre de téléservice est très contrastée, les usages qu’en font les administrés sont également hétérogènes.

Une faible diffusion des certificats électroniques

Les certificats sont une sorte de cartes d’identité numérique dont l’objet est d’identifier une entité physique (la commune, l’entreprise, le particulier équipés). Ils sont principalement utilisés dans la gestion des relations entre collectivités territoriales ou entre collectivité territoriale et Etat, mais aussi, parfois, avec les fournisseurs et les citoyens. Comme le montre le tableau suivant, les certificats électroniques ne sont pas si répandus.

PME TPE Mairies Individus
Taux d’équipement en certificat électronique 37% 9% 11% 21%
Source des données Enquête M@rsouin sur la Bretagne - 2008 Enquête M@rsouin sur la Bretagne - 2006 Enquête M@rsouin sur la Bretagne - fin 2007 Direction générale des Impôts - France - télédéclarations de 2008

En 2008, 7,4 millions, soit presque 21% des contribuables ont effectué leur déclaration de revenus par Internet, sensiblement comme l’an passé. Pour ce faire, les télédéclarants devaient obtenir un certificat électronique, véritable sésame pour accéder en toute sécurité à son espace fiscal, ce code était aussi indispensable pour déclarer ses revenus, signer sa déclaration ou encore payer ses impôts en ligne.

Si les entreprises relevant de l’artisanat sont encore très peu équipées, un bon tiers des petites et moyennes entreprises ont saisi l’importance de l’enjeu. Il faut dire que le certificat leur permettent notamment de déclarer et payer la TVA par Internet, ce qui est obligatoire depuis janvier 2007 pour les entreprises dont le chiffre d’affaires de l’exercice précédent est compris entre 760 000 et 1,5 million d’euros.

Du côté des collectivités locales, on dénote dans l’enquête « communes et TIC », 8% de maires équipés, 4% des directeurs généraux des services et quelques élus soit au total 11% (aux arrondis près) des mairies. Nombreuses pourtant sont les utilisations possibles : dans les processus de télétransmission des mentions marginales de l’Etat Civil entre les mairies (échanges des services Etat Civil d’informations numérisées et sécurisées pour la mise à jour des actes), dans le contrôle de la légalité (signature et envoi électroniques des comptes-rendus des conseils municipaux et des délibérations ).

Le faible équipement en certificats peut s’expliquer : l’accès au certificat peut être freiné par la configuration ou le renouvellement du matériel, les politiques de sécurité informatique, la complexité des interfaces et des manipulations nécessaires pour l’obtenir. Néanmoins l’absence de certificat (permettant l’authentification) est un frein non négligeable dans les échanges numériques des communes.

Echanger entre entités administratives

En 2005, nombreuses étaient les communes à utiliser le Web en tant que source d’informations. Elles se rendaient sur les sites publics nationaux, régionaux, sur des sites de conseil juridique. Fin 2007 les usages des TIC restent encore davantage liés à ce partage d’information qu’au travail collaboratif entre entités administratives.

Quand il s’agit de communiquer avec les services centraux de l’Etat, les services déconcentrés, les autres collectivités locales, certaines communes en sont encore au mode papier (fax, courrier postal, navette), téléphonique ou face à face, alors que d’autres envoient des courriers électroniques ou se connectent sur les sites Web. En fonction de la nature des partenaires, les échanges d’informations, de flux de documents, de bases de données, ne passent pas tous par les voies électroniques.

Les échanges numériques avec les centres de gestion remportent pourtant 70% des suffrages. 64% des communes font leurs déclarations de cotisations URSSAF en ligne (elle-mêmes ou à travers leurs mandataires : expert-comptables, centres et associations de gestion agréées) ; 81% déclarent en ligne les rémunérations annuelles des salariés sous forme simplifiée (DADS-U, Déclaration Automatisée des Données Sociales Unifiée).Une mairie sur deux (53%) fait ses demandes en ligne à la DDE (depuis la demande de renseignements d’urbanisme jusqu’à la demande de permis de construire, en passant par les déclarations de début et fin de travaux ). Mais cette proportion chute sensiblement (31%) quand il s’agit de transmettre également des actes en ligne.

Les échanges entre les mairies et le Trésor Public sont en pleine évolution, notamment suite à l’arrivée de l’application Hélios, qui refonde les applications informatiques de la gestion du secteur public local en une application unique. Mais il reste encore 57% des communes de notre échantillon qui échangent par papier. Il faut dire que le déploiement d’Hélios n’est pas encore terminé, certaines trésoreries n’étant pas encore prêtes. 63% de ces communes déclarent que les échanges entre ordonnateurs et comptables ne sont pas dématérialisés car leur trésorerie ne le propose pas actuellement (18% précisent que c’est en-cours).

Les échanges avec L’INSEE, la Préfecture et le Conseil Général arrivent en fin de peloton en matière « d’échanges numériques ». Ces partenaires sont récemment allés vers les mairies pour leur proposer de nouveaux services liés à la dématérialisation. Certaines mairies y ont déjà souscrit : 13% échangent numériquement avec l’INSEE (par exemple pour une base de recensement, avec les radiations suite à des décès) , 8% avec la Préfecture (pour la liste de recensement et tous les actes liés au Contrôle de la Légalité) et 8% avec le Conseil Général.

Utiliser les sites publics en ligne

La moitié ou presque pour les artisans et plus pour les PME, ont pris pour habitude de consulter les sites publics en ligne pour s’informer. Pour certains, ils y trouvent également de l’information au sujet des appels d’offres Par contre, quand il s’agit simplement d’échanger par mail ou de télétransmettre des documents, les proportions chutent comme le désignent les taux des tableaux qui suivent.

Ceci est d’autant plus vrai pour les très petites entreprises. D’ailleurs, à la question « Internet a-t-il modifié les relations et modes de fonctionnement de votre entreprise avec l’administration », 66% des entreprises connectées répondent par la négative, 8% « pas encore » alors que 16% voient déjà une légère modification et 10% une forte. Et ce n’est pas prêt de changer si on prend en considération la vision des artisans actuellement non connectés. Pour l’instant, dans 95 cas sur 100 ces derniers ne ressentent pas de prescription d’usage de la part de l’administration.

Du côté des particuliers, l’usage des sites administratifs atteint les mêmes proportions : 41% des 15 ans et plus ont recherché au cours des 12 derniers mois des informations sur les sites administratifs du type CAF, trésorerie, mairie, 51% des informations sur la vie locale à partir des sites Web publics.

Notes

[1L’analyse concerne les services offerts au niveau des communes, car nous n’avons pas d’informations, et surtout de statistiques, pour l’Etat, les régions, les départements ou encore les établissements publics de coopération intercommunale.

[2Tranche la plus élevée de l’indicateur de richesse calculé à l’aide d’un niveau de revenu moyen de la population, rapport entre revenus imposables de l’ensemble des foyers fiscaux et nombre de foyers fiscaux

[3possédant une politique locale du tourisme, des capacités d’hébergement pour non résidents, des curiosités naturelles ou historiques, une situation géographique spécifique ... (31% de l’échantillon)

[4Les chiffres qui suivent sont issus des déclarations des répondants et non de recensement.

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