Les annonces de rencontres sur Internet. L’impact des informations sociales induisant la similarité

, par Christine Petr, Nicolas Guéguen

Les annonces de rencontre sur Internet connaissent un développement fulgurant et de grandes entreprises sont nées de la gestion de la mise en ligne de ce type de produits.

Pourtant peu de travaux ont été consacrés à ce thème. L’objectif du travail de recherche que nous présentons ici est de faire une analyse des modes de présentation et de valorisation des hommes et des femmes sur ces sites puis de conduire des recherche expérimentales tenant d’étudier l’effet de certains facteurs sociaux sur le jugement des annonces et les comportements de réponses à ces annonces.

L’étude de l’impact de la perception du niveau de familiarité entre un émetteur d’annonce (celui ou elle qui l’écrit) et un récepteur (celui qui l’analyse pour prendre ou pas la décision de répondre) constituera l’objet de recherche ici. Nous étudierons tout particulièrement l’impact des facteurs sociaux donnant le sentiment que l’annonceur est proche du récepteur (ce que l’on appelle le sentiment de familiarité).

Partenaire 1 - Chef de file : LESTIC, Nicolas Guéguen

Partenaire 2 : CREM, Christine Petr

Présentation détaillée du projet.

L’étude de l’impact de la similarité sera étudié à l’aide d’une approche corrélationnelle fondée sur l’analyse des annonces de rencontre et surtout sur des expérimentations introduisant des facteurs de similarité et mesurant le degré d’attractivité de l’annonce.

Organisation du projet.

Le projet sera organisé en 2 sous projets correspondant à un angle d’attaque de validation de nos hypothèses selon lesquelles la similarité engendre la préférence.

Le premier sous-projet sera fondé sur de l’analyse de l’existant. D’une part, un recensement et une lecture très exhaustive des travaux sur l’impact de la similarité sera fait à partir des bases de données scientifiques dont nous disposons. Il est à noter que cela permettra d’enrichir des connaissances utiles à de nombreuses formations où nous intervenons en tant qu’enseignants (voir partie retombés ci-dessus) ou dans le cadre de formation. D’autre part, dans cette partie nous analyserons les contenus d’annonces de rencontre sur Internet afin de voir quelles caractéristiques d’attractivité sont mises en exergue par les personnes selon certaines variables (âge, sexe, CSP….). Ce travail n’a jamais été fait et permettrait une meilleure connaissance du terrain et une valorisation scientifique de ces données. L’approche par l’analyse de contenu et lexicale sera utilisée comme méthodologie dominante.

Le second sous-projet sera constitué par une approche résolument expérimentale. Dans un cas, nous allons concevoir un certain nombre d’annonces introduisant des caractéristiques de similarité entre la cible et l’annonceur que nous étudierons en laboratoire. Nous ferons évaluer des annonces à de à des étudiants-étudiantes en introduisant dans ces annonces des facteurs de similarité avec ces étudiants/étudiantes. Dans ce cadre à titre d’exemple des connaissances préalables sur ces étudiants/étudiantes seront réinjectées dans les annonces et des jugements de préférence seront effectués afin de voir si ces facteurs de similarité opérèrent sur les choix des sujets (exemple correspondance syllabes du prénom (si sujet évaluateur s’appelle Mathieu, annonceur s’appelle Marie). Des correspondances de formations, d’intérêt… seront également étudiées. Dans un second cas, des annonces seront placées sur site afin de mesurer l’attractivité de celles-ci selon un certain nombre d’informations introduites et portant sur la similarité (exemple forte proximité d’un pseudo, manipulation de similarité par convergence d’intérêt, de signe astro, de proximité professionnelle…). L’effet de répétition d’un propos d’une annonces d’autrui sera également étudié puisque cela constitue un facteur fort de la similarité (voir partie état de l’art). Ici encore les effets comportementaux (réponses à des annonces, choix d’annonces) et les mesures attitudinelles (questionnaire d’évaluation dans le cadre de laboratoire) seront utilisés comme instruments de mesures empiriques des données.

Bibliographie, état de l’art.

Lorsque l’on regarde deux personnes converser ensemble, on constate que chacun des interlocuteurs imite l’autre. Ce comportement d’imitation semble automatique comme c’est le cas pour la répétition des mots dans une conversation, le rire, les expressions faciales. On tend à imiter les gestes d’une personne qui nous est étrangère (Chartrand & Bargh, 1999). Pour certains chercheurs, l’imitation aurait semble-t-il des fonctions adaptatives en permettant à l’autre de percevoir un soutien, une approbation, un intérêt à ce qu’il dit. Pour d’autres chercheurs, nous aurions une tendance à imiter autrui peut-être parce que l’imitation contribue à nous faire mieux apprécier. Or, des travaux expérimentaux confirment cela. Ainsi, on sait que l’imitation conduit à faire percevoir l’imitant de manière plus positive (Chartrand & Bargh, 1999) ou à se sentir plus proche de lui (Van Baaren, Rick et al., 2003). Une serveuse qui répéte ce que dit un client lorsqu’elle prend sa commande est plus appréciée et reçoit plus de pourboires de la part des clients (Van Baaren, Holland et al., 2003).

Légitimement un tel constat nous a conduit à évaluer le poids de l’imitation dans une situation de séduction moderne que constitue le Speed Dating (Guéguen & Fisher-Lokou, soumis). Dans une telle situation les choses vont vite mais elle présente l’avantage de permettre une rencontre en face à face très différente d’une approche que l’on peut avoir lors de rencontre via Internet puis sélection et contact téléphonique.

Des jeunes-femmes âgées entre 24-30 ans, familières de ce type de rencontres ont accepté de se prêter au jeu de cette recherche en mimant le comportement et les propos de certains hommes qu’elles rencontraient lors de ces réunions. On les avait entraîné à pratiquer cela. Dans une condition, on leur demandait de mimer les gestes avec un certain décalage temporel (exemple un homme se passant la main dans les cheveux ou se grattant l’avant-bras) ou encore de répéter certains propos tenus par l’homme (exemple si l’homme l’abordait de cette manière « Bonsoir, et bien quel est le prénom de cette charmante brune avec ce sourire éclatant » la jeune femme répondait « Bonsoir, et bien le prénom de cette charmante brune avec ce sourire éclatant est Aurore ». Bien entendu les jeunes femmes ne répétaient pas tous les gestes et propos de l’homme mais tentaient dans les 5-10 minutes que durait en moyenne ces interactions de répéter entre 4/6 fois les propos et gestes de l’homme. Dans une condition expérimentale, les jeunes femmes répétaient à la fois des gestes et des propos. Dans une autre condition il y avait soit répétition de gestes soit de propos seuls. Enfin, dans une dernière condition il n’y avait pas de répétition durant la phase d’interaction. A la fin de la séance on demandait aux hommes de donner le nom des 3 jeunes femmes avec lesquelles ils avaient interagit durant la séance et avec lesquelles ils estimaient qu’un bon contact avait eu lieu. On leur demandait également de désigner la jeune-femme qui les attirait le plus.

En ce qui concerne les choix de bons contacts, les résultats furent les suivants :

Taux de présence des jeunes-filles compères dans les 3 premiers choix d’estimation de bons contacts (en %)

Niveau d’imitation Contrôle
Paroles+gestes Gestes seuls Paroles seules Pas d’imitation
48% 29% 34% 22%

Comme on le voit lorsque les mêmes jeunes femmes imitent l’homme leur probabilité de se retrouver considérées parmi le groups des bons contacts augmente.

Qu’en est-il de la préférence ? Les résultats de nos expériences ont été les suivants :

Manifestement « l’imitante » est plus attirante que lorsqu’elle n’imite pas. On confirme ici que dans le jeu de la séduction, comme cela a été montré dans d’autres circonstances, il y a une préférence pour celle qui répète nos gestes et nos propos. Bien évidemment ces recherches seraient à répliquer dans l’autre sens (l’homme qui imite la femme) mais ne pourrait-on pas penser comme le disent certains qu’à travers l’autre c’est nous que nous aimons. Il semble en tout cas, avec ces résultats, qu’il y a une sorte d’attirance pour ceux qui répliquent nos gestes et nos paroles.

De tels résultats sont conformes avec certaines observations faites par Perper (1985). Ce chercheur en observant les couples se former dans des bars de célibataires a constaté que, au fur et à mesure que l’interaction avance et semble plutôt bien se passer, il y a une synchronisation des comportements non-verbaux émis par l’homme et la femme comme le mouvement des mains et des bras, le fait de se caresser le menton, de toucher un objet, baisser la tête, sourire en même temps. Il est vraisemblable que ce mimétisme est non conscient mais pour Leil Lowndes (1996) il suffirait ainsi que l’un ou l’autre synchronise ses comportements non verbaux avec l’autre membre pour qu’un sentiment de complicité, d’unicité s’installe et favorise une issue heureuse de la relation. Il semble que cela fonctionne déjà en speed dating alors que le temps manque. On peut donc penser que ce mimétisme des gestes et des paroles à d’autant plus d’importance quand les deux membres du couple prennent le temps de se connaître, de s’entendre et de se raconter.

Le sentiment de similarité peut également provenir d’autres informations. Si on observe un effet d’appariement plus important pour l’initiale ou la syllabe du prénom, des travaux montrent le même effet d’appariement avec des noms de famille. Dans une recherche récente de Jones, Pelham, Carvallo et Mirenberg (2004) les chercheurs ont examiné les noms de famille d’hommes et de femmes portant sur un échantillon aléatoire de 14534 mariages célébrés dans l’état de Georgie et de Floride. Les chercheurs ont calculé la moyenne des appariements au hasard pour toutes les lettres. Or, dans la réalité, les appariements ont été bien supérieurs. Statistiquement, on rencontre plus d’initiales du nom de famille identiques dans les couples que ce à quoi on peut s’attendre si ce facteur est sans influence. Cet effet est d’autant plus important si on prend uniquement des échantillons de couples d’origine Latino-américaine qui se sont mariés aux USA. Ces chercheurs confirmeront ces résultats dans une autre recherche en prenant les noms de famille les plus fréquents aux USA (Smith, Johnson, Williams, Jones et Brown c’est-à-dire nos Martin à nous). Ils observeront, à nouveau, que Smith à plus de probabilités d’épouser Smith que tout autre nom de famille.

Si on transfère cette propriété dans le cadre de la rencontre sur Internet, on observe que certains facteurs de similarité opèrent également. Ainsi, Jones et ses collaborateurs ont demandé à des hommes de lire des annonces de rencontres sur Internet : annoncées supposées rédigés par des jeunes femmes. Ces jeunes femmes donnaient leur prénom ainsi que la première syllabe de leur nom de famille comme pseudo. Bien entendu on a fait en sorte que, selon les sujets, cette syllabe corresponde à la première syllabe de leur nom de famille (Exemple un sujet s’appelant Larry Murray avait soit une annonce présentant STACEY_MUR soit STACEY_PEL). Les sujets devaient évaluer la jeune fille supposée avoir écrit cette annonce. Les résultats montreront que, dans le cas de la correspondance de la syllabe, les sujets ont évalué la jeune fille comme étant plus appréciée par eux, qu’elle leur correspondait mieux, qu’elle leur ressemblait plus et qu’ils se sentaient plus attirés par elle.

On observe donc qu’en matière de relation sentimentale le sentiment de similarité induit par de multiples facteurs (répétition gestes, répétition des paroles, informations incidentes patronymiques ou d’apparence…) conduit à une préférence accrue entre les 2 protagonistes. L’objectif de notre projet de recherche est d’étudier de manière plus ciblée cet impact dans le cadre des annonces sur Internet. Le détail de nos objectifs est consigné dans la présentation détaillée des expériences que nous comptons mener.

Bibliographie

Chartrand T. & Bargh J. A. (1999). The chameleon effect : The perception-behavior link and social interaction. Journal of Personality and Social Psychology, 76, 893-910.

Guéguen N. & Fisher-Lokou, J. (soumis). Mimicry and courtship behavior. Journal of Applied Social Psychology.

Lowndes L. (1996). How to make anyone fall in love with you. Contemporary Books.

Perper T. (1985). Sex signals : The biology of love. ISI Press.

Van Baaren, Rick B ; Holland, Rob W ; Steenaert, B. Van Knippenberg, Ad. (2003). Mimicry for money : Behavioral consequences of imitation. Journal of Experimental Social Psychology. 39(4), 393-398

Van Baaren, Rick B., Maddux, W. W. ; Chartrand, T. L. ; de Bouter, Cr. Van Knippenberg, A. (2003). It takes two to mimic : Behavioral consequences of self-construals. Journal of Personality and Social Psychology. 84 (5), 1093-1102.