Cette étude sur l’information publique s’est concentrée sur la réalisation d’un panorama des sites de municipalités bretonnes et la sélection de quelques sites en ligne de municipalités, plus spécifiquement ceux de Rennes, Saint-Brieuc, Brest et Lorient. Le contenu de ces quatre sites a été analysé à partir de la méthodologie développée par Roselyne Ringoot (2004) sur l’identité éditoriale. Cette ligne éditoriale est considérée par l’auteur comme la combinaison de stratégies énonciatives, créant de l’identité éditoriale donc d’une part, comme un construit discursif qui démarque les journaux les uns des autres (centre d’intérêt, ton, style, idéologie...) et d’autre part, comme un préconstruit discursif du journal : politique en matière de titrage, genres, citations... La ligne éditoriale représente aussi ce qui est construit dans le discours du journal.
Cadre de l’étude.
Les études sur les médias et le journalisme se consacrent souvent exclusivement aux journalistes employés dans des médias généralistes de renom ou travaillant sur l’actualité politique nationale et internationale, rarement locale. Les recherches se sont parfois étendues, assez récemment, aux spécialistes des rubriques culturelles, économiques, sportives, éducatives... lesquelles donnent aussi lieu à un traitement impliquant un travail intellectuel original et dans lequel le professionnel qui excelle est celui qui fait montre d’agilité critique vis-à-vis de son sujet et de ses sources. Dans le même temps, la recherche tenait à distance, voire discréditait, la forme publicitaire de l’information, quelle soit de nature commerciale ou propagandiste, attitude doublement paradoxale tant les objets d’étude (les médias) sont intrinsèquement liés à cette dimension informationnelle : la propagande politique fut à l’origine du journalisme, notamment à l’orée des démocraties, et la publicité commerciale est le moyen de financement parfois principal, voire exclusif (dans le cadre des médias gratuits, écrits comme audiovisuels), souvent revendiqué comme l’un des viatiques permettant la production critique du journaliste.
Ce privilège donné à la dimension critique et ce désintérêt pour la dimension publicitaire sont en parfait accord avec la représentation que les groupes professionnels de journalistes ont voulu donner d’eux-mêmes depuis un siècle, en quête d’une légitimité sociale qu’ils prétendaient situer dans le champ intellectuel (concurrents des enseignants, des scientifiques, des artistes), avec un rôle éminent (le « quatrième pouvoir ») et à bonne distance des vrais concurrents de leur espace professionnels, les publicitaires, frères de sang avec lesquels ils sont nés il y a 400 ans et dont il fallut s’affranchir pour se tailler un espace de vie.
Les recherches ont trouvé ici leurs limites, normalisantes puisque souvent incapables de percevoir une forme d’information, importante, souvent majoritaire (en volume, en nombre de professionnels et de médias), voire exclusive (dans certains supports), qui occupent des journalistes mais aussi d’autres professionnels, que d’aucuns appellent « information publique » ou « communication publique » (l’hésitation est pleine de sens), que nous avons commencé aussi à travailler sous le terme « information de service public ». Ce terme d’‘information de service public’ nous permet de spécifier la visée performative de la notion à l’égard du public, ce type d’information entendant ‘rendre service’, en rendant à l’émetteur du message une partie de son caractère institutionnel, puisque le terme attache l’acte d’informer aux instances de service public. Simultanément, ce terme permet de spécifier le type d’information observé qui se situe à la frontière de l’information et de la communication, empruntant certains traits à l’une ou l’autre sphère et, tout en restant ancré dans le domaine d’une communication institutionnelle voire politique, de lui attribuer un peu du caractère journalistique dont elle se prévaut et qu’elle laisse transparaître.
Cette forme de journalisme doit être étudiée, en elle-même et relativement à d’autres, tout aussi ignorées. L’étude de l’« information de service public » nous conduit à considérer les relations de coproduction entre information et communication, et notamment les interactions entre journalistes et communicants qui, dans certains cas, peuvent être utiles au social, même si elles demeurent parfois conflictuelles. Nous devons considérer le champ de l’information comme un vaste espace de compétition et de coopération dans lesquels les « joueurs » ont des intentions parfois de possession ou manipulation des autres, parfois ils recherchent la convergence et donc la coopération, tous tendus vers un même objectif, l’accès au public. Les compétitions/coopérations ont souvent pour théâtre les médias à économie traditionnelle, mais de plus en plus on voit apparaître que ce que certains appellent des « médias de source » (médias organisés par des sources) (Sant’Anna, 2006). Cette « information publique » apparaît alors comme un vaste champ de compétition/coopération dans lequel l’intention de « service public » est au principe de tout, mais sans que l’on puisse ignorer que des intentions plus intéressées coexistent aussi.
Il nous faut observer le contenu des médias pour mieux percevoir la réalité du phénomène ; mais il faut aussi avoir une ambition socio-discursive, c’est à dire qui puisse mettre en corrélation des discours et des pratiques, des produits et des manières de les produire. Un vaste chantier qui conduit à étudier les organisations qui possèdent des médias, les projets éditoriaux, les moyens, les continuums productifs, les acteurs, les produits, la réception et l’économie générale en terme de relations entre les discours et la production de ceux-ci.
Méthodologie.
La méthodologie principale a reposé sur une analyse d’une sélection de sites municipaux. L’analyse a porté sur les critères de construction de l’identité éditoriale des sites, proposés par la chercheure Roselyne Ringoot (CRAPE-Arènes).
Ringoot préconise donc de croiser les deux discours : discours sur le journal et discours du journal. Elle propose trois axes d’étude (Ringoot, 2004 : 88-89) :
– l’étude de la construction du sens liée à la morphologie du journal : format, segmentation, distribution des surfaces ;
– l’étude des identités énonciatives journalistiques : nom du journal, des auteurs, fonction catégorisante des rubriques et des pages externes, propriétés des genres, de l’angle et des titres ;
– la polyphonie journalistique : qui fait-on parler, comment et pourquoi - discours rapportés.
Ces trois axes d’études, ajustés à notre objet de recherche spécifique, ont été appliqués aux sites en ligne des municipalités bretonnes et ont permis de réaliser quatre monographies particulières qui ont ensuite été alimentées par des entrevues qualitatives menées auprès d’élus et de responsables des sites en ligne des villes.
Le travail d’analyse des sites a été mené par Florence Le Cam (CRAPE-Arènes).
Mariannig Le Béchec (IRUTIC) s’est déplacée dans les villes sélectionnées (Brest, Lorient, Saint-Brieuc et Rennes) pour rencontrer les répondants aux entrevues.
Résultats obtenus.
Le résultat central porte sur l’intérêt que les municipalités laissent percevoir dans la construction d’un rapport spécifique au public, donc dans la mise en place de modalités qui pourraient à terme transformer l’image que les administrés se font de leur institution.
L’idée de considérer la démarche de diffusion d’information municipale en ligne comme une démarche proche de celle du journalisme public est tentante. Mais elle fait fi de la dimension fondamentale de cette forme de journalisme qui a pour tâche principale de répondre à des questions d’intérêt public, d’aller chercher les acteurs et de placer à l’avant-scène des médias ces questions afin d’avoir un impact sur les décisions institutionnelles et politiques.
L’analyse des sites municipaux des villes bretonnes ne donne guère à voir cette démarche. Elle situe plutôt les pratiques du côté de la communication politique ayant adopté certaines pratiques et certaines figures du journalisme pour construire un rapport spécifique avec le public.
Cependant, ce n’est pas tant dans l’imitation ou la création de pratiques journalistiques spécifiques que semble se jouer l’identité éditoriale des sites, mais dans la construction d’un rapport spécifique au public.
Tout comme le bulletin municipal constitue un outil essentiel de construction d’une communauté de lecteur, le site offre aussi ce potentiel. S’adressant à l’internaute, à l’usager, au contribuable, à l’électeur, le site superpose, tout comme les bulletin, les contrats de lecture pour s’adresser à toutes ces figures simultanément pour finalement susciter de la part de l’internaute un rôle de citoyen (Le Bart, 2000 : 180).
Cette notion de contrat de lecture prend un caractère incontournable en ce qui a trait aux sites en ligne municipaux. L’on doit à Éliseo Veron (1985) et son texte « L’analyse du contrat de lecture : une nouvelle méthode pour les études de positionnement des supports presse » la définition du contrat de lecture qui définit en fait la relation entre un support et son lectorat le contrat de lecture. Pour Véron, le succès d’un support de presse écrite se mesure à sa capacité de proposer un contrat qui s’articule aux attentes, aux motivations, aux intérêts et aux contenus de l’imaginaire de la cible.
L’intérêt pour le contrat de lecture nous amène à poser une hypothèse centrale qui pose que la réappropriation de certaines ’techniques’ journalistiques par les producteurs des sites municipaux ne vise pas à étendre le territoire de l’information municipale, à remplacer qui que ce soit, ou à créer de nouveaux genres, mais bien à construire, préserver et alimenter le rapport avec le public, en lui fournissant, ’clé en main’, toutes les modalités traditionnelles de son rapport avec une diffusion d’information médiatique traditionnelle, donc à entretenir le même rapport de lecture que celui créé entre médias et public. L’objectif du contrat étant évidemment de « préserver l’habitus de consommation » (Véron, 1991 : 168).
Ce sont toutes les caractéristiques du format, du contenu, de l’énonciation, caractérisées tout au long de cette étude sur l’identité éditoriale des sites au moyen de la méthodologie de Ringoot (2004) qui construisent ce contrat de lecture. C’est fondamentalement par lui que l’identité éditoriale semble prendre tout son sens. Et cette identité éditoriale a été déclinée en plusieurs traits spécifiques : l’image spécifique du territoire, la construction d’un rapport au temps particulier, la publication d’information descriptive issue d’une hiérarchisation de l’information temporelle, thématique voire même fonctionnelle. Le site met en scène le rôle de la municipalité, il agit comme guide des activités, comme agenda, mais aussi comme porte d’entrée vers les sites des acteurs principaux du territoire. Les municipalités ne se sont guère orientées vers la production de contenu original, mais proposent des fonctionnalités intéressantes et parfois novatrices comme l’e-administration. Elles tendent à renforcer le rapport avec l’internaute en lui balisant son parcours, en lui offrant des services particuliers : des chats, des forums. Bien que ces échanges soient le plus souvent unilatéraux, ils encouragent cependant un autre rapport avec l’administration. D’autant que les sites tentent de mettre à distance les figures politiques, et de prôner une certaine neutralité, voire même une dépersonnalisation des sites.
Cette liste des traits de l’identité éditoriale des sites municipaux en ligne nous permet de fonder la spécificité de celle-ci. Et bien que la plupart des municipalités semblent encore dans une phase d’appropriation d’Internet, elles semblent avoir créé des modalités nouvelles d’interaction avec le public. L’importance des mises à jour, de la mention des dates, des logiques de services en ligne, de l’effacement des figures politiques sont autant d’indices qui construisent le contrat particulier que proposent les sites en ligne municipaux. Ce contrat est différent de celui des autres médias, il n’est pas exactement non plus celui des bulletins municipaux et ne se cantonne pas à de la communication politique ‘politisée’.
Produire un site en ligne n’est pas une démarche anodine, cela fait partie de la communication municipale, mais l’acte semble aussi conduire à une réactivation de certaines intentions de communication politique, qu’elles soient servicielle, élective, incitative ou expérimentale, dans la mise en scène d’un genre qui apparaît comme finalement spécifique puisque alliant trois types de discours particulier : administratif, de ‘service social’, donc davantage centré sur le service au public dans une logique d’action politique mais dépourvue de son caractère partisan et militant, et enfin un type de discours journalistique - ce genre est alors le produit conjugué des modes de diffusion (Ruellan, 2001), des formes textuelles (Lochard, 1996) et des stratégies énonciatives de mise en scène du locuteur (Ringoot et Rochard, 2004). En mariant ces types de discours, les sites municipaux parviennent à se construire un genre, à offrir un produit mixte construit en congruence avec l’image qu’ils se forgent des attentes de leur lectorat, mais surtout à proposer un rapport spécifique avec l’internaute. Celui-ci peut de fait retrouver les caractéristiques et les repères de types de discours connus et reconnus par lui, tout en se trouvant confronté à une forme, donc à une identité éditoriale, les juxtaposant.
Perspectives en matière de recherche et d’applications.
Cette recherche axée sur l’identité éditoriale des sites a permis de mettre en exergue l’importance de la construction du rapport au public, du contrat de lecture afin de la démarche de publication en ligne. Cette orientation de la recherche ouvre des perspectives intéressantes et encore peu exploitées. Ainsi, diverses perspectives s’offrent en matière de recherches sur l’information de service public notamment du côté du public.
Du point de vue du public :
Un pan de recherche reste à explorer et se situe du côté des usages et surtout des représentations de l’information de service public par les administrés-internautes. Une recherche pourrait être menée auprès des internautes qui consultent les sites municipaux. D’une part, ces internautes sont peu étudiés, leur mode et leur parcours de consultation, leurs impressions, opinions, frustrations ne sont guère étudiés. Une recherche pourrait donc être menée sur la réception et construction contingente du ‘contrat de lecture’ par le public internaute. Cette recherche pourrait débuter par les internautes qui consultent les sites municipaux. Elle pourrait par ailleurs être conjuguée avec une étude portant sur le contrat de lecture plus traditionnel des magazines municipaux. Il s’agit alors de renverser les perspectives et plutôt que de se centrer sur les producteurs d’information songeant à leur public, d’étudier les internautes consultant cette production d’information.
Du point de vue de l’information de service public :
L’information de service public a été étudiée, dans cette recherche, du point de vue de la construction générale de l’identité éditoriale. Nous avons même proposé une conception spécifique du genre d’information proposé, qui allie trois types de discours particulier : administratif, de ‘service social’, donc davantage centré sur le service au public dans une logique d’action politique mais dépourvue de son caractère partisan et militant, et enfin un type de discours journalistique. Cette conception de l’information de service public devrait être affinée à partir de l’étude plus poussée des traces du discours politique dans l’information de service public. Nous avons indiqué que les figures du politique et de l’écrivant tendent à s’effacer du site et concourent à une certaine forme de dépersonnalisation du site. Pourtant, les sites sont profondément orientés par les conceptions politiques qui les portent. La recherche pourrait alors porter de façon plus approfondie sur la conception de l’information de service public par les élus afin de dévoiler ce qui est parfois masqué par les mises en forme de l’information.
Du point de vue des applications éventuelles :
La prise en compte du public se fait encore par les municipalités par l’entremise de représentations construites et véhiculées à l’interne dans les administrations. Il pourrait être fructueux d’organiser des focus group, donc des groupes de discussion collectifs en face à face, entre gestionnaires des sites, élus, et représentants du public. Cela pourrait permettre aux uns et aux autres d’échanger leur point de vue sur les modalités de la diffusion en ligne de l’information de service public.
Une seconde démarche pourrait se situer du côté des liens souvent distendus entre le site municipal et le magazine municipal concernant la production d’information. Un travail de consultation pourrait être mené concernant les deux supports, en ligne et hors ligne, afin de permettre une synergie productive dans la démarche de publication.