Usages numériques en Bretagne : les zones de revitalisation rurale à la loupe

, par Laurent Mell, Sterenn Bodennec

Note de synthèse du GIS MARSOUIN.

Usages numériques en Bretagne : les zones de revitalisation rurale

Les analyses présentées dans le cadre de cette note de synthèse s’appuient sur l’exploitation statistique de l’enquête CAPUNI Individus 2022 [1] du GIS Marsouin menée auprès des ménages et individus de plus de 18 ans résidant en Bretagne.Cette enquête a été réalisée auprès de deux populations distinctes : un échantillon de 2 000 individus représentatif de la population bretonne (assuré par la méthode des quotas) ; un sur-échantillon de 600 individus résidant en zone de revitalisation rurale en Bretagne [2].

À équipements équivalents, connexions différenciées

Dans un contexte d’augmentation de la fibre au sein des foyers français depuis plusieurs années, l’enquête CAPUNI 2022 montre qu’un mode de résidence en zone de revitalisation rurale a des incidences sur les modalités d’accès à internet par les Bretons.Les ménages localisés en zone de revitalisation rurale ont une probabilité bien plus faible (-30%) d’être équipées en fibre que celles hors ZRR et bien plus forte (+25%) de posséder une connexion ADSL/VDSL.Dans le prolongement, un certain nombre d’activités numériques semblent être affectées par cette localisation en zone de revitalisation rurale puisque les Bretons résidant dans ces territoires sont légèrement plus nombreux à renoncer à des activités numériques : naviguer sur internet, consulter ses mails ou les réseaux sociaux (+7%) ; regarder des vidéos, télécharger des fichiers (+8%) ; avoir une conversation en visioconférence, jouer en réseau(+8%). Le mode de résidence en ZRR renforce les attitudes de renoncement à des activités sur internet, principalement en raison de problèmes liés à la qualité de connexion. Pour ces populations, l’insatisfaction de la qualité de connexion est plus marquée (+6%) tandis que le sentiment de satisfaction est, à l’inverse, moindre (-11%). Les effets de la résidence en ZRR sur les modes de connexion à internet sont bien plus marginaux. Pour la majorité d’entre eux(smartphone ; abonnement internet au domicile ; chez un ami ou un voisin ; sur le lieu de travail ou d’études ; dans une médiathèque ou un espace public numérique), la relation n’est pas significative. Seul l’accès à un réseau WIFI public ou ouvert varie sensiblement avec une probabilité légèrement plus importante d’accès à internet par ce biais (+6%).

De la même manière, l’équipement numérique est peu sensible à la résidence en zone de revitalisation rurale. Que ce soit pour le smartphone, l’ordinateur portable, la tablette, la console de jeux vidéo, le casque de réalité virtuelle, la montre connectée, l’enceinte bluetooth, l’enceinte intelligente, le dispositif de téléassistance ou l’objet domotique, la relation entre la possession d’équipements numériques et la localisation en ZRR n’est pas significative, exceptés pour l’ordinateur fixe(+5%)ainsi que l’imprimante/scanner(+6%).

Des compétences numériques sensibles aux effets de territoire

Cette focale sur les ZRR met en lumière un développement partiellement différencié des compétences numériques selon le territoire en Bretagne.La résidence en zone de revitalisation rurale a une incidence relativement faible (voire nulle) sur l’ensemble des tâches concernant l’administration des mails. Que ce soit pour écrire ou envoyer un mail comme pour gérer sa boîte mail (supprimer, classer en dossier, etc.), il n’y a pas de relation statistiquement significative entre la localisation en ZRR et la réalisation de ces activités numériques par les Bretons. Ce constat est autant valable pour les individus qui se sentent à l’aise dans la réalisation de ces tâches qui ceux qui expriment un manque d’aisance.

Les personnes résidant en zone de revitalisation rurale ont une probabilité légèrement plus faible(-5%)d’être très à l’aise dans leurs recherches sur internet (utiliser Google, Yahoo, Bing, etc.)que les personnes situées en-dehors de ce territoire.À côté de cela, il n’apparait pas de relation statistiquement significative entre la localisation en ZRR et la navigation sur un site internet (trouver et accéder aux informations voulues),la connexion à un compte avec un identifiant et un mot de passe mais également la gestion des mots de passe (enregistrer, modifier, récupérer, etc.).À l’inverse, les Bretons habitant en ZRR semblent plus affectés lorsqu’il est question d’activités numériques administratives.Ces individus ont une probabilité plus faible d’être très à l’aise – mais également plus forte d’être en difficulté – à scanner des documents (avec un scanner ou un smartphone) et à télécharger des documents ou des fichiers (déclaration d’impôts, relevé d’identité bancaire, pièce jointe, etc.)que les personnes situées en-dehors d’une zone de revitalisation rurale.

L’expression de ces difficultés s’accentue à mesure que les activités numériques réclament des dispositions de la part des usagers.Les personnes résidant en zone de revitalisation rurale ont une probabilité légèrement plus faible d’être très à l’aise – mais également plus forte d’être en difficulté – à réaliser un paiement en ligne, installer une application sur un smartphone ou installer un logiciel sur un ordinateur. À l’inverse, la mobilisation de ressources en cas de difficultés avec le numérique est peu sensible à cet effet de territoire. La localisation en ZRR n’incite pas les individus à mobiliser davantage des ressources (solliciter un ami, un membre de la famille, un voisin ou un collègue de travail ; contacter un service d’assistance informatique ou un revendeur ; se déplacer dans un Espace Public Numérique, un cyber café, une bibliothèque ou une association) lorsqu’ils sont en difficultés avec leur ordinateur, leur smartphone ou face à un souci informatique particulier.

Bien que les individus en zone de revitalisation rurale ne sollicitent pas davantage de ressources en cas de difficultés avec le numérique que les bretons en-dehors de ces territoires, il n’en reste pas moins que la résidence en ZRR a induit des changements dans le rapport des usagers au numérique. Concernant une partie des activités numériques interrogées (effectuer des opérations bancaires comme la consultation ou le virement ; rechercher des informations locales comme les horaires d’ouverture de magasins ou les séances de cinéma ; déclarer et suivre ses impôts ; réaliser une demande de prestation sociale auprès de la CAF ou de la MSA ; suivre la scolarité d’un enfant), aucuns changements ne sont déclarés.

Pour d’autres tâches ordinaires au sein des territoires appartenant aux zones de revitalisation rurale, le passage au numérique a fait émerger de nouvelles contraintes et renforcé l’expression de difficultés :(1) la réalisation des courses ; (2) effectuer d’autres achats du quotidien (vêtements, accessoires, livres, etc.) ; (3) prendre un rendez-vous médical ; et (4) faire une demande de prestation de sécurité sociale (suivre les dossiers, les remboursements, etc.). Seul l’achat de titres de transport (car, train, avion) semble avoir été facilité dans sa démarche avec le passage au numérique. Pour les trois quarts des bretons, le numérique a réduit les difficultés à réaliser cette tâche. Et ce sentiment est encore plus marqué (+9%) chez les individus résidant en zone de revitalisation rurale.Cet ensemble de disparités, constatées en zone de revitalisation rurale, s’observe également sur le reste du territoire breton mais dans des proportions moindres.

Du territoire aux contextes sociaux

Cette note synthétique sur la question des usages numérique en Bretagne, et plus particulièrement dans les zones de revitalisation rurale, est à comprendre comme un élément de réponse complémentaire à la question des inégalités numériques au sein d’un territoire déterminé. Ce travail s’inscrit dans la continuité du travail de Marsouin [3] quant à la compréhension des dynamiques sociales associées aux usages numériques. Par ailleurs, cette note de synthèse Marsouin va de pair avec le récent rapport [4] de l’ANCT(Agence Nationale de la Cohésion des Territoires), corédigé par des chercheurs du réseau Marsouin,sur la question de l’éloignement numérique.

Cette exploitation statistique de l’enquête CAPUNI Individus 2022 a également permis de confirmer un certain nombre de recherches en sciences humaines et sociales sur le sujet. Les usages numériques sont socialement ancrés. Pour comprendre les usages numériques, il est nécessaire de les intégrer dans les parcours de vie des usagers et de recontextualiser socialement ces usages. Les inégalités numériques sont avant tout des inégalités sociales numériques.

La prise en considération des inégalités numériques (en équipements, en savoirs, en compétences, etc.) au regard des contextes sociaux, culturels et économiques s’exerçant au sein un territoire ne pourra qu’être favorable à l’élaboration de politiques en faveur d’une autonomie individuelle et collective vis-à-vis du numérique.

Note de synthèse - Usages numériques en Bretagne : les zones de revitalisation rurale
Rapport complet - Usages numériques en Bretagne : les zones de revitalisation rurale

Notes

[1L’ensemble des données concernant l’enquête CAPUNI 2022 sont à retrouver sur le site du GIS MARSOUIN à cette adresse :https://www.marsouin.org/article1330.html

[2Les Zones de Revitalisation Rurale (ZRR) concernent des territoires ruraux bénéficiant de mesures sociales et fiscales spécifiques afin d’encourager le développement économique et l’emploi,d’enrichir les services publics et de favoriser l’activité locale. La caractérisation d’un territoire en zone de revitalisation rurale repose sur deux critères : (1) une densité de population inférieure ou égale à la médiane des densités par EPCI ; (2) un revenu fiscal par unité de consommation médian inférieur ou égal à la médiane des revenus fiscaux médians Sur les 1207 communes que comprend la Bretagne, 270 d’entre elles sont classées ou partiellement classées en zones de revitalisation rurales, soit un peu plus de 22% de l’ensemble.

[3Ce travail fait suite à ceux initiés dans le cadre l’enquête CAPUNI Crise pendant le premier confinement du printemps 2020 mais également lors de l’enquête nationale CAPUNI en 2019.

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