La dématérialisation des services publics s’accélère en France, notamment sous l’impulsion du plan « Action Publique 2022 » qui pose l’objectif de passer à la dématérialisation totale de 250 démarches « clés » pour les Français, traduisant une évolution profonde de l’administration et de sa relation aux usagers. Qu’en est-il de la numérisation des services administratifs dans les communes bretonnes ? Que dit cette numérisation de l’évolution de l’équipement et des usages/non-usages numériques en mairie ainsi que, plus largement, de la position des communes vis-à-vis du numérique ? L’objectif de cette note est de mettre en lumière les évolutions en cours sur le territoire breton.
Les résultats chiffrés présentés ici sont issus de l’exploitation de l’enquête Marsouin « Communes 2021 ». Il s’agit de la sixième édition de l’enquête, la première ayant eu lieu en 2003.
La numérisation des services dans les communes
La numérisation des services administratifs est en cours dans les communes bretonnes, mais l’analyse de ce mouvement révèle des disparités importantes en fonction des services.
Ainsi, comme on peut le voir sur le graphique 1, dans plus du tiers des communes, les services communaux tels que l’urbanisme ont été numérisés ; cependant, une commune sur cinq déclare n’avoir numérisé aucun des services communaux suivants : état-civil, urbanisme, action sociale, réservation des salles communes, restauration scolaire, garderie, bibliothèque/médiathèque. L’absence de numérisation est plus importante encore dans les plus petites communes et dans les zones de revitalisation rurale (ZRR), où une commune sur trois n’a numérisé aucun de ces services. En tout état de cause, l’action sociale semble être de loin le parent pauvre de la numérisation dans la grande majorité des communes, alors même qu’il s’agit d’un service en première ligne de la lutte contre l’exclusion.
Dans le même temps, les demandes d’aides de la part des administrés, dans leur rapport aux services dématérialisés, apparaissent croissantes pour un nombre important de communes. Elles sont ainsi 39% à avoir déclaré que la numérisation - entreprise par l’État - des services publics les plus utilisés par les citoyens, avait eu pour conséquence un nombre croissant de demandes d’aide de la part des administrés. 28% n’ont à l’inverse pas observé de changement. En outre, 17% des mairies bretonnes déclarent être sollicitées au moins une fois par semaine par les citoyens concernant l’aide aux démarches administratives (impôts, CAF, etc) et 11% d’entre elles pour les services publics en ligne d’ordre communal (inscription crèche, cantine, etc).
En outre, plus de 60% des communes ne se sentent pas assez accompagnées par l’État en ce qui concerne la numérisation des services publics administratifs, tandis que 54% des communes déclarent que recruter un agent dédié au numérique n’est pas prioritaire pour elles. C’est tout particulièrement le cas pour les petites communes, qui se caractérisent par un nombre très restreint d’agents ; c’est donc sans surprise celles pour lesquelles recruter un agent spécialisé dans le numérique est le moins prioritaire. En l’absence d’agent réellement dédié à ces thèmes, il est sans doute difficile pour les plus petites communes d’envisager de mettre en place seules une stratégie de numérisation. Pour ces communes, les attentes d’un soutien de l’État apparaissent donc particulièrement fortes.
Enfin, il convient de relever que seulement 20% des communes organisent des formations au numérique pour les citoyens de la commune. Ce sont les communes de moins de 500 habitants qui forment le moins leurs citoyens au numérique.
Les conseillers numériques France services
Dans ce contexte, le recrutement de conseillers numériques revêt un enjeu crucial pour les communes, tout en constituant pour l’Etat un moyen de répondre aux attentes de soutien. Le plan de recrutement des 4 000 « conseillers numériques France services » s’inscrit dans le cadre du volet « Inclusion numérique » du plan de relance. Il concerne les collectivités territoriales tout en étant également ouvert aux structures privées telles que les associations et les acteurs de l’économie sociale et solidaire.
D’après les données communiquées par l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), 173 postes de conseillers numériques ont été ouverts et attribués sur le territoire breton sur lesquels 136 ont déjà pu être formés et prendre leur poste [1] au sein de 84 communes différentes.
Comme on peut le voir sur le graphique ci-dessus, les conseillers ont été déployés relativement équitablement entre les différents départements bretons. De plus un conseiller numérique sur 10 intervient dans les zones de revitalisation rurales (ZRR) [2]. 22% des communes bretonnes sont en ZRR, et représentent 10% de la population bretonne.
Si l’on confronte ces chiffres à ceux de notre enquête, ce sont 8% des mairies interrogées qui déclarent avoir recruté du personnel pour l’accompagnement des services en ligne. Il s’agit de conseillers numériques dans la majorité des cas. Par ailleurs, le tiers des communes ont observé l’arrivée de conseillers numériques au niveau de leur EPCI. Bien que déployés sur l’ensemble du territoire breton, la présence des conseillers numériques ne semble pas uniformément perçue par les communes.
Les conseillers numériques France services sont appelés à conduire des actions de lutte contre l’exclusion numérique, articulées autour de trois missions principales : « soutenir les Français.es dans leurs usages quotidiens du numérique » ; « sensibiliser aux enjeux du numérique et favoriser des usages citoyens et critiques » ; « rendre autonomes pour réaliser des démarches administratives en ligne seul » [3]. Abeilles ouvrières de l’inclusion numérique, les conseillers numériques se voient donc confiés un champ d’activité particulièrement large, puisqu’il est autant question d’usage, de compétences, que de pouvoir d’agir (empowerment).
Sur quatre mois [4], les conseillers numériques recrutés ont accompagné près de 11 000 personnes sur le territoire breton. Pour l’heure, l’analyse des thèmes d’accompagnement les plus récurrents révèle une priorité donnée aux compétences de base (prise en main des équipements, démarches en ligne). Ce choix semble illustrer la prise en compte par les pouvoirs publics du risque d’augmentation du taux de non-recours aux droits, régulièrement pointé du doigt par le Défenseur des droits [5]. Les plus âgés - qui constituent une catégorie d’usagers identifiée depuis longtemps comme l’une des moins armées vis-à-vis du numérique - sont les premiers bénéficiaires de ces accompagnements, avec 58% des personnes accompagnées ayant plus de 60 ans, tandis que seulement 8% ont entre 18 et 35 ans. A l’inverse, l’accompagnement destiné à renforcer le pouvoir d’agir apparaît pour le moment plus marginal. Les personnes accompagnées sans emploi ne représentent par exemple que 9% des bénéficiaires d’un accompagnement. De même, l’accompagnement centré sur l’utilisation des applications smartphone apparaît encore peu présent ; or, l’on sait que les smartphones et les tablettes tendent, notamment pour des raisons ergonomiques, à brider certains usages (Muphy et al., 2016), tout en étant souvent mobilisée par les catégories populaires (Pasquier, 2022).
Les France services
Avec la suppression des guichets de services d’État spécifiques, les aides aux démarches administratives sont déplacées vers d’autres lieux. Ces derniers peuvent être qualifiés de lieux de médiation numérique. La mise en place de ces lieux est dans la majorité des cas portée par la commune (77%) et/ou par l’EPCI (33%). Les communes qui n’ont pas de lieux de médiation numérique invoquent, pour 59% d’entre elles, des conditions matérielles insuffisantes.
L’État a par ailleurs développé les guichets France services dans le but d’offrir un accompagnement sur l’ensemble des services administratifs numérisés, à un même endroit et accessible en moins de 30 minutes pour l’ensemble des citoyens [6]. Sur le territoire breton, ce sont donc aujourd’hui 91 France services qui ont été déployés. Le quart des France services se trouvent dans des ZRR et plus d’une sur 10 sont itinérantes.
La permanence des médiathèques et bibliothèques comme lieux privilégiés de la médiation numérique
Dans la pratique, les médiathèques et bibliothèques semblent, pour l’heure, toujours constituer les lieux de médiations numériques privilégiés par les usagers. Elles sont ainsi présentes dans 82% des communes bretonnes, et 63% des communes qui en possèdent une déclarent y mettre des ordinateurs ou des tablettes en accès libre. Plus de la moitié (58%) de ces communes s’accordent sur le fait que ce soit un lieu adapté pour répondre aux demandes d’aide, d’accompagnement ou de médiation numérique, illustrant ainsi sur un temps long la permanence des représentations d’une médiation numérique essentiellement culturelle (Plantard, 2021). Selon le baromètre du numérique du Crédoc de 2018 [7], la médiathèque est en effet le lieu le mieux identifié en France par les personnes de plus de 18 ans en ce qui concerne l’apprentissage numérique et les démarches en ligne.
Bibliographie
Muphy, H., et al. (2016). An investigation of multiple devices and information sources used in the hotel booking process. Tourism Management, 52, 44-51.
Pasquier, D. (2022). Le numérique à l’épreuve des fractures sociales. Informations sociales, 205, 14-20.
Plantard, P. (2021). La médiation numérique, entre l’injonction de la dématérialisation et la nécessité de l’accompagnement. Horizons publics, 24, 42-49.