Identifier les non-usagers et mieux comprendre les situations de non-usages. Enquête participative à Kérourien (Brest)

, par Annabelle Boutet-Diéye, Jocelyne Trémenbert

Du printemps 2007 au printemps 2008, nous avons mis en œuvre une enquête dans un quartier de Brest, le quartier de Kérourien [1] . Kérourien constitue une zone d’habitat social dense où les HLM de l’OPAC prédominent. En outre, c’est un quartier classé en zone urbaine sensible (ZUS).

Cette enquête participative [2] avait pour objectif de récolter des informations sur les limites et les freins à la diffusion des TIC et améliorer les connaissances en matière de profil des non-internautes.

Le second objectif visait à « démocratiser » les outils statistiques en permettant à un groupe d’habitants de participer à l’ensemble du processus d’une enquête par questionnaires.

Cette démarche partait de deux constats intimement liés : d’une part, la difficulté qu’il y a à approcher les non-usagers et à les décrire ; d’autre part, la connaissance des non-usagers se fait essentiellement à travers les enquêtes qui sont menées sur les usagers.

Ainsi, plusieurs organismes travaillant sur l’observation et la compréhension de la diffusion des TIC et de la société de l’information ont proposé des typologies visant à mieux caractériser les non-usagers.

En 2005, les analystes du GIS M@rsouin proposaient, dans leur « panorama 2005 des usages des TIC en Bretagne » des profils de non internautes à partir des 47% de Bretons qui n’avaient pas utilisé Internet au cours de l’année précédente [3] . Cette typologie était construite à partir de la connaissance de leur intention future d’utilisation et de leur environnement technologique. On y notait que l’appétence vis-à-vis d’une future utilisation d’Internet était croissante avec le niveau de ’capital social’ (entourage connecté, capacités financières et niveau d’éducation initial). Trois grandes classes se dégageaient : (i) Ceux qui allaient s’y mettre ; (ii) Ceux qui devaient s’y mettre : avec des résistants et des volontaires et (iii) ceux qui étaient loin de s’y mettre (81%) : avec les exclus socio-économiques, les exclus de génération et les indifférents.

L’organisme statistique national du Canada a également élaboré une typologie dans le cadre de son enquête sur l’utilisation d’Internet en 2005 [Cohendet et Stojak, 2005]. Trois groupes de non-usagers ont été identifiés :

  • Le Groupe 1 : dit des « les non-utilisateurs radicaux ». Il s’agit de personnes généralement assez âgées (plus de 65 ans) et/ou aux revenus très modestes. Ils ne voient aucun intérêt à investir dans un accès quelconque à Internet. Même avec une implication forte des pouvoirs publics, la probabilité que ce groupe reste à l’écart est grande.
  • Le Groupe 2 : dit des « utilisateurs potentiels distants ». Il s’agit de personnes généralement âgées de 55 à 65 ans, qui n’ont pas les compétences pour utiliser Internet et peu de motivations pour le faire. Seule une implication forte des pouvoirs publics pour les convaincre de l’intérêt de se connecter et les former à l’utilisation des NTIC serait susceptible dans les années à venir de changer cette situation.
  • Le Groupe 3 : dit des « quasi-utilisateurs ». Il s’agit de personnes qui, pour des raisons de moyens ou de situation géographique (dans des zones rurales ou montagneuses), n’ont pas encore accès à Internet, mais sont désireuses de trouver les moyens de se connecter.

Dans le cadre d’une enquête qualitative menée auprès de 70 non-internautes aquitains, Aurélie Laborde et Nadège Soubiale ont identifié 5 profils de non-Internautes : les « utilisateurs indirects » qui ont recours à leur entourage pour bénéficier des informations et services d’Internet ; les « totalement déconnectés » n’ont aucune expérience et aucune connaissance concrète d’Internet ; les « distanciés » ont une connaissance minimale et/ou une expérience avortée d’Internet mais ne voient pas l’intérêt de poursuivre dans cette voie ; les « abandonnistes » ont utilisé Internet mais ne l’utilisent plus et les « utilisateurs occasionnels ou débutants » [4]

La dernière typologie proposée est celle de l’AWT qui a identifié 6 profils de la fracture numérique à partir des 31 % de Wallons qui déclarent ne pas utiliser Internet : (1) résistants à la nouveauté et réfractaires ; (2) non "usagères" actives ou inactives avec proxys ; (3) fracturés sociaux actifs avec proxys ; (4) fracturés sociaux inactifs et sans proxy ; (5) seniors en couple sans proxy ; (6) seniors seuls sans proxy . [5]

La lecture des enquêtes menées par les instituts de sondage, comme Médiamétrie, ne nous en apprend guère plus sur les non-internautes, si ce n’est en lisant quelques unes de leurs données en « négatif ». Ainsi, si l’on apprend qu’en juin 2008, 58,3 % de la population française âgée de 11 et plus s’était connectée au cours du dernier mois, sommes nous en mesure de déduire que 41,7 % de la population n’avait pas été connectée.

Notons que nous émettons quelques hypothèses concernant le mode de passation des enquêtes pouvant biaiser les résultats en ne donnant pas la place qu’ils devraient avoir aux non-usagers. Ainsi, les taux d’utilisateurs ou de connectés sont sûrement surévalués : en effet, les modes d’administration des enquêtes sont en général peu adaptés pour atteindre des non-utilisateurs potentiels. (ex. Lorsque l’enquête se fait par téléphone, elle exclut automatiquement tous les foyers qui ne disposent pas de ligne fixe mais un téléphone mobile ; si l’enquête se fait en face à face, ce sont alors les foyers installés dans des zones difficiles à interroger tels que les îles, la haute montagne, les zones sensibles ou les personnes résidant dans des habitations mobiles terrestres, sans abris qui sont écartés, etc.). En outre, ces enquêtes, et donc leurs résultats, sont liées à l’acceptation de répondre et les personnes intéressées par les technologies ont davantage tendance à y répondre. Et malheureusement, nous disposons généralement de peu d’informations sur les non répondants.

À travers le « baromètre de la diffusion des nouvelles technologies » du CREDOC de Juin 2007, nous pouvons de même extraire un certain nombre de caractéristiques des internautes et donc aussi des non internautes : la tranche d’âge, le niveau de diplôme, la tranche de revenus du foyer, le type de profession ou la catégorie sociale.

Ainsi, si nous comptons 93 % d’internautes chez les 12-17 ans - soit 7 % de non internautes -, la tendance s’inverse dans le grand âge avec seulement 9 % d’internautes chez les personnes de 70 ans et plus.

Le diplôme génère des différences au moins aussi sensibles : seulement une personne non diplômée sur cinq peut être qualifiée d’internaute, alors que 90% des diplômés de l’enseignement supérieur surfent sur Internet d’une façon ou d’une autre.

Les revenus sont extrêmement corrélés avec la probabilité d’être internaute. Plus les revenus du foyer sont élevés et plus on a de chances de se connecter. On passe ainsi de 42% de connexion pour ceux qui perçoivent moins de 900€ par mois - soit 58 % de non connectés - à 87% chez les titulaires de revenus supérieurs à 3.100€ - soit 13 % de non connectés -.

La profession ou catégorie sociale, parce qu’elle traduit des effets d’âge, de diplôme et de revenus, aboutit aux écarts les plus importants. Alors que 22% seulement des retraités se connectent - soit 78 % de non connectés -, la quasi totalité des cadres supérieurs en font autant (96%).

La relation entre caractéristiques socio-démographiques, socio-économiques et usage est donc bien établie pour les internautes, mais comme nous l’avons montré, pour obtenir, le profil des non utilisateurs, il faut inverser les chiffres (7% chez les 12-17 ans, 91% chez les 70 ans et plus, 4 personnes sur 5 non diplômées, etc ...).

L’analyse des usages, menée par les chercheurs en sociologie, en sciences de la communication et de l’éducation, permet d’appréhender les processus de diffusion des TIC dans la société : qu’il s’agisse des nouvelles configurations du travail, de la famille, des sphères privées ou publiques, des jeunes ou des femmes. Mais comment expliquer et prendre en compte : les « drop-out », ceux qui ne touchent plus aux machines après en avoir usé et abusé [6] ? ; la mère de famille qui communique avec sa famille restée au pays par le biais d’un ordinateur équipé d’une webcam et de Skype, et déclare ne pas se servir d’un ordinateur ni d’Internet car c’est sa fille qui fait toute la procédure d’installation ; l’autre mère de famille qui est capable de décrire la procédure exacte pour télécharger films et musiques et qui n’a jamais touché un ordinateur parce que son mari le lui interdit ? Autant de situations ¾ d’usage ou de non-usage ? Là est toute la question ¾ qui demandent un travail de déconstruction des notions d’usage(s) et d’usager(s) pour toucher à la spécificité des parcours de chacun.

La démarche de l’enquête participative avait donc deux finalités : en impliquant, des non-usagers dans le groupe d’habitants nous souhaitions nourrir le travail d’élaboration du questionnaire de leurs points de vue ; cela participait également à un premier travail de démystification du sujet pour permettre une démarche d’enquête moins technocentrée puisque, précisément, il s’agissait de toucher des personnes, qui, a priori, étaient éloignées des technologies. A ce titre, soulignons que nous avons adossé notre démarche à l’Espace public Multimédia du quartier qui était porteur du projet. L’idée étant que par sa position, nous pouvions notamment toucher les personnes qui n’étaient pas utilisatrices mais qui franchissaient le pas en venant s’inscrire aux différents ateliers proposés.

Les principaux résultats.

Pour 169 questionnaires saisis, nous dénombrons 1 seul refus, 43 questionnaires interrompus - les personnes ayant utilisé Internet au cours de la semaine ou du mois précédent l’enquête - ou auxquels les personnes n’avaient que partiellement répondu. Au total, nous avons donc pu exploiter 125 questionnaires [7] .

Données démographiques, économiques et sociologiques.

62 % des répondants ont déclaré habiter Kérourien, les autres venaient de quartiers proches tels que Kéranroux (19 %) et Valy Hir (7 %). Le reste venait d’autres quartiers brestois.

46 % des personnes se situent dans la classe d’âge des 30-59 ans, contre 32 % chez les 15-29 ans et 22 % chez les 60 ans et plus . [8]

Concernant la structure des foyers, deux indicateurs ont été retenus : la composition (personne isolée, famille monoparentale, vie en couple) et la présence d’enfants. Ce second point est un élément important puisque l’une de nos hypothèses est que la présence ou non d’enfant peut être déterminante dans une démarche vers Internet.

59 % des personnes interviewées déclarent vivre en couple contre 28 % de personnes isolées et 13 % de famille monoparentale. 56 % des interviewés ont répondu par l’affirmative concernant la présence d’enfants dans le foyer.

A propos des données socio-économiques, trois indicateurs ont été interrogés : le statut face à l’emploi, le niveau d’étude et la perception du niveau de vie. Pour ce dernier la question posée - « Que diriez-vous de votre vie ? » : « Elle est confortable », « Vous vous en sortez », « Elle est difficile », « Elle est très difficile », « Vous ne savez pas » - apparaît plus pertinente puisqu’elle permet ensuite d’évaluer les choix et les priorités ; et elle est moins difficile à renseigner qu’une question plus directe sur les revenus qui apporte rarement des réponses satisfaisantes.

Quant au statut face à l’emploi, 34 % des personnes interviewées déclarent avoir une activité professionnelle, 29 % être à la retraite, 25 % sans emploi (c’est-à-dire, au chômage, sans profession ou femme au foyer) et 13 % sont collégiens, lycéens ou étudiants.

58 % des personnes sont sans diplôme, titulaires d’un CAP et d’un BEP. Si nous rapprochons ces réponses aux données que nous avons du quartier, nous constatons que nous en sommes assez près. Les habitants sont peu diplômés, 32% des personnes de 15 ans et plus ont un CAP/BEP, et 26% des personnes déclarent n’avoir aucun diplôme.

Le niveau de vie est, dans l’ensemble perçu comme confortable pour 45 % alors que 30 % déclarent s’en sortir et 25 % évoquent des difficultés. Cependant, les données générales montrent que la situation face à l’emploi est précaire, le taux de chômage est de 24,4% dans cette zone, et le taux de bénéficiaires du RMI est supérieur à 7%.

Enfin, un dernier indicateur devait nous permettre de cerner la dimension culturelle, en lien avec les compétences linguistiques. Nous avons donc demandé quelle était la langue maternelle : 85 % ont répondu le français [9] . Une de nos hypothèses est, en effet, que la prééminence de l’écrit dans la pratique d’Internet peut constituer un obstacle important pour des personnes appartenant à des cultures linguistiques minoritaires.

Le poids de l’entourage.

Les travaux menés sur la diffusion et l’appropriation des usages montrent l’importance de l’environnement social. Ainsi, lors d’une précédente étude menée à Kérourien, nous avions mis en avant le fait que la plupart des personnes qui franchissaient le pas vers les techniques mais également vers l’espace public multimédia étaient accompagnées d’un proche : parents, amis, voisins [Boutet, Trellu 2006]. De même, les travaux menés au sein du CREM insistent largement sur l’importance du capital social dans les processus d’adoption d’Internet [Suire, 2007].

A contrario, pour mieux comprendre les profils des non-usagers d’Internet, convient il d’établir une représentation de leur entourage et des usages d’Internet de celui-ci.

Dans l’enquête menée à Kérourien, il ressort effectivement que pour les non-usagers, l’absence d’usages d’Internet dans l’entourage est décisive. En effet, 49 % des non-usagers interviewés déclarent que peu ou pas de personnes utilisent Internet dans leur famille, 50 % parmi leurs collègues de bureau et 53 % parmi leurs amis.

Dans les foyers avec conjoint, 58 % des non-usagers ont répondu que le conjoint n’utilisait pas Internet. Par contre, le rapport est à 50/50 concernant l’usage d’Internet par les enfants, lorsqu’il y en a ; sachant que l’âge de ceux-ci aura nécessairement un impact également.

Le rôle des proches parents (conjoint et enfants) dans l’adoption d’usages d’Internet reste à questionner. En effet, ces phénomènes s’inscrivent dans les questions de la répartition des rôles au sein du foyer, soit d’un point de vue intergénérationnel entre parents et enfants, soit d’un point de vue du genre entre homme et femme, soit du point de vue domestique, entre conjoints.

Par ailleurs, au cours des réunions de préparation de l’enquête, nous avons recueilli le témoignage, d’une femme qui connaissait parfaitement le fonctionnement et la manière de procéder pour télécharger des films ou de la musique, sans avoir jamais touché à l’ordinateur : parce que son mari le lui interdisait, disant qu’elle pouvait casser ou dérégler quelque chose. Ce phénomène individuel n’est pas isolé, nombre de femmes franchissent aujourd’hui la porte des espaces publics numériques car elles se sentent exclues de l’innovation technologique au sein de leur foyer.

De même, les enfants peuvent ils jouer le rôle de prescripteur, en aidant leur parent à utiliser les outils du web, ou au contraire de censeur en les excluant par des comportements ou des pratiques discriminantes.

Nous pouvons alors supposer que ces phénomènes domestiques participent à la construction des systèmes de représentation des non-usagers qui peuvent considérer qu’Internet n’est pas fait pour eux, qu’ils ne seront pas capables de...ou enfin qu’ils risquent de dérégler ou de casser quelque chose.

Un autre phénomène lié à l’entourage est ce que nous appelons les médiations d’usages ou le rôle des « proxies ». On entend par proxies ces personnes qui apportent une aide ou agissent en lieu et place d’une autre pour accomplir des actions sur Internet. Ainsi, par exemple, l’adolescente qui envoie des mails pour sa mère ou qui établit pour elle les connexions téléphoniques via webcam et skype.

La question des proxies interroge en fait deux phénomènes : d’une part, le rôle de l’accompagnement dans les processus d’appropriation ou de non-appropriation ; d’autre part, la frontière entre usager et non-usager. Lorsque l’on ne fait pas soi-même mais que l’on fait faire. En effet, le fait de faire faire, signifie déjà une connaissance, plus ou moins avancée, de ce qu’il est possible de faire contrairement aux personnes qui ne possèdent même pas cette connaissance-là. Nous reviendrons sur cette question ultérieurement.

Nous remarquons ainsi que 53 % des personnes interrogées déclarent avoir été aidées par un utilisateur d’Internet pour mener à bien certaines actions et 52 % déclarent qu’on ne leur a cependant pas montré comment faire.

L’environnement technologique des non-usagers.

Un autre élément souvent montré comme déterminant dans l’adoption des usages d’Internet est l’environnement technologique dans lequel évoluent les personnes ; sous-entendu que plus l’environnement est technophile, plus les probabilités d’être utilisateurs sont importantes.

59 % des personnes interviewées déclarent que le foyer est équipé d’au moins un ordinateur et 49 % des personnes déclarent qu’il y a un accès à Internet. Pour comparaison, au troisième trimestre 2007, l’enquête Médiamétrie/Gfk révélait que 47 % des foyers français disposaient d’une connexion au Web [10] .

Deux chiffres ont cependant retenu notre attention. 9 % des personnes interviewées déclarent qu’il y a déjà eu un ordinateur au sein du foyer mais qu’il n’y en a plus, et 13 % déclarent la même chose pour ce qui concerne la connexion à Internet. Nous nous trouvons donc face à une proportion d’abandonnistes assez importante. Sachant que, même si nous ne pouvons faire une réelle comparaison, lors de l’enquête M@rsouin datant de 2006, les abandonnistes de l’ordinateur représentaient 1 % et ceux d’Internet 0,2 %.

Deux éléments peuvent nous aider à comprendre ce phénomène. D’une part, les personnes se déclarent démunies lorsque l’ordinateur ou la connexion Internet est défaillante. Si elles n’ont personne dans leur entourage pour les dépanner, le recours à des professionnels n’est pas systématique et l’appareil sera délaissé [Boutet et al 2008].

Le second élément est la dimension économique. La maintenance peut se révéler coûteuse à la longue de même que les mensualités des abonnements lorsque la situation du foyer est précaire. Des arbitrages ont alors lieu entre les priorités et les différents postes de dépenses du ménage.

Sur le reste des équipements multimédia (téléphonie mobile, décodeur TNT, lecteur MP3, etc.) l’enquête a révélé un taux d’équipement qui situe les habitants de Kérourien dans les moyennes nationales.

Dans l’ensemble, nous pouvons conclure que les non-usagers n’évoluent pas nécessairement dans un environnement dénué de technologies.

Opinions et points de vue des non-usagers.

Le principe adopté dans l’enquête que nous avons menée était de recueillir un ensemble d’éléments pouvant éclairer les opinions et points de vue des non-usagers et expliquer leurs situations. Pour cela, nous les avons interrogés à partir d’une liste d’avis et d’une liste de situations issues à la fois des discussions du groupe de travail et des enquêtes antérieures de M@rsouin.

L’avis qui domine est le coût d’équipement, comme frein à l’usage, et qui obtient une moyenne de 3,46 sur 5 par rapport à l’ensemble des opinions citées. En deuxième place c’est la question de la réparation et de la maintenance qui obtient une moyenne de 3,39.

OPINIONS SUR INTERNET Moyenne Tout à fait de cet avis (5) Un peu l’avis (4) Ne sait pas (3) Pas vraiment votre avis (2) Pas du tout votre avis (1)
Cela coûte cher de s’équiper 3,46 33% 25% 6% 29% 8%
Quand ça tombe en panne, on ne sait pas quoi faire 3,39 41% 14% 6% 24% 16%
C’est trop compliqué à comprendre 2,86 14% 27% 6% 35% 18%
On s’en sert surtout au travail ou pour les études 2,77 21% 16% 6% 33% 24%
Internet fonctionne mal 2,59 12% 18% 6% 45% 19%
Internet détruit les liens familiaux ou les liens avec les autres 2,37 11% 14% 7% 37% 31%
Ils trouvent qu’il y a un côté mystérieux 2,30 10% 16% 7% 30% 38%
Ce sont surtout les gens seuls qui l’utilisent 1,94 6% 7% 6% 37% 44%
Cela ne durera pas, c’est une mode qui va passer 1,91 6% 4% 6% 41% 42%

L’enquête atteint ici ses limites dans la mesure où elle ne permet pas de pousser plus loin l’analyse de cette réponse, considérant que, comme nous l’avons précédemment remarqué, les ménages sont, dans l’ensemble, assez bien équipés et déclarent par ailleurs avoir une vie confortable.

Il s’ensuit donc que l’argument économique ne doit pas être pris comme un fait établi mais plutôt comme le reflet de plusieurs phénomènes que seule une enquête qualitative pourrait dévoiler : d’une part, les ménages effectuent des arbitrages, reflet de leur stratégie de consommation et de vie. Le coût d’équipement serait donc élevé compte tenu d’autres postes de dépenses considérés comme prioritaires : logement, transport, habillement, etc. En outre, nous n’avons pas interrogé les ménages sur leurs critères d’évaluation de ce coût : autrement dit, quelles sont leurs sources d’informations, leurs références en matière de standard d’équipements pour en déterminer le coût et le prix qu’ils sont prêts à mettre ?

L’analyse de ce positionnement reste donc en suspens.

La situation dont les personnes interrogées se sentent les plus proches et qui justifie leur non-usage est celle où « les gens préfèrent avoir les gens en face ou se déplacer » qui recueille une moyenne de 3,95 sur 5 ; vient ensuite la question des compétences techniques (3,47) et en troisième lieu le fait qu’ils ont autre chose à faire (3,38).

Cependant, la liste qui était donnée, sans être exhaustive permettait un panachage des justifications qui permettrait d’affiner les positions individuelles mais non d’établir des profils types.

Expériences vécues et connaissances vis-à-vis d’Internet.

Dans un environnement saturé d’informations et de messages, positifs ou négatifs, sur Internet, il est important d’évaluer le degré de connaissance et d’expérience que les non-usagers avaient de ces techniques.

La première question qui leur a été posée était leur estimation du nombre de foyers ayant un accès à Internet en France. La moyenne des réponses est de 56 % ce qui est légèrement surévalué par rapport aux derniers chiffres de Médiamétrie.

30 % des personnes interrogées ont déclaré n’avoir jamais utilisé Internet. 38 % l’avait utilisé mais pas au cours du dernier mois et 32 % ont déclaré l’utiliser au moins une fois par mois. Le taux d’utilisateurs déclarés est important. Nous interprétons ces résultats à la lumière de la méthode que nous avons utilisée et au fait qu’une partie des répondants étaient de nouveaux utilisateurs, fréquentant l’EPM depuis peu dans le cadre des formations proposées. En outre, cela soulève la question de la frontière lorsqu’il s’agit de profiler les usagers et les non-usagers au regard de la fréquence de fréquentation/usages ou de la période considérée (un mois, trois mois, les 12 derniers mois, etc). Cela amène une première conclusion : soit il s’agit d’usagers récents, soit il s’agit d’usagers non réguliers. Par contre, cela ne nous en apprend guère sur leur pratique et sur le degré d’appropriation des usages qu’ils ont. Ce degré d’utilisation pouvant par exemple être mesuré, au-delà de la connaissance que nous avons sollicitée, en termes d’autonomie, autrement dit de capacité à agir avec l’accompagnement d’un tiers, seul, voire en étant soi-même accompagnant.

Les trois principales familles d’usages connues par les non-usagers sont la communication (communiquer par messagerie instantanée : usage connu à 54 % et par email : 52 %), le divertissement (télécharger de la musique et des films : 53 %, écouter de la musique : 52 %, lire la presse : 50 %), les activités en lien avec les services publics (télécharger des formulaires administratifs : 51 %) et quelques activités de bureautiques (saisie et mise en forme de documents : 54 %, gestion du ménage : 53 %).

Notons par ailleurs que 72 % des personnes interrogées déclarent connaître des lieux d’accès à Internet dans leur quartier et 54 % qu’elles ont déjà franchi la porte de l’espace public multimédia (EPM).

Comme nous l’avons déjà souligné, l’expérimentation est souvent liée au rôle de l’entourage. Nous avons donc poursuivi l’investigation dans ce sens. A ce titre, 65 % des personnes ont répondu qu’elles avaient déjà demandé à quelqu’un de faire quelque chose pour elles avec Internet et 52 % ont déjà demandé à quelqu’un de leur montrer comment faire quelque chose sur Internet.

Pour compléter, notons que les activités les plus médiatées sont le téléchargement de musique et de films (19 %), la recherche d’informations liées aux loisirs (18 %), les communications par messagerie instantanée (17 %) et les relations avec les administrations et services publics (téléchargement de formulaires : 15 % ; recherche d’informations : 14 % et remplir des formulaires en ligne : 14 %).

Quel accompagnement proposer ?

Un des enjeux du questionnaire était d’identifier des solutions pour permettre aux non-usagers qui le souhaitaient de profiter des technologies d’Internet. C’est pourquoi, le dernier volet que nous avons abordé dans le questionnaire visait à identifier les conditions jugées par les non-usagers les plus adaptées à leur apprentissage. Nous les avons donc interrogés sur le lieu, la ou les personnes, la formule et le contenu qu’il conviendrait d’adopter.

Concernant le lieu, le domicile (avec une moyenne de 3,91 sur 5) et le centre social (3,90) sont jugés les mieux adaptés. La famille (4,29) et les amis (4,26) sont les plus sollicités.

En matière de formule d’apprentissage, les deux solutions qui arrivent en tête sont relativement opposées : la plus forte moyenne (3,95) est attribuée à « une personne répond à vos besoins au coup par coup » alors que vient tout de suite après la formule du cours hebdomadaire (3,88).

Enfin, en termes de contenus, les personnes sont en attente de présentation et d’initiation sur des fondamentaux : présentation générale d’Internet (3,82), initiation à la prise en main d’un ordinateur (3,74) et initiation aux questions de protection et de sécurité (3,70).

Pour conclure...

Signalons tout d’abord quelques limites de la méthode afin d’aborder les résultats de la manière la plus juste possible. Le nombre des questionnaires reçus et exploitables est un peu juste pour décider de sa réelle représentativité de la population de Kérourien, cependant il permet de dégager de grandes tendances et d’affiner certains détails déjà identifiés. Ensuite, l’enquête a été administrée par des non-professionnels. Elle a permis de toucher des personnes qui n’auraient peut-être pas répondu à des inconnus, mais il peut y avoir des biais liés à la connivence. Enfin, nous avons eu peu de retours exploitables dans les quelques questions ouvertes qui pourtant nous auraient fourni des informations intéressantes.

Les visages des non-usagers.

Concernant l’affinage de l’identification des non-usagers et l’amélioration de la compréhension des situations de non-usages, nous ne parvenons pas encore à élaborer une typologie opérationnelle mais nous pouvons voir se concrétiser des catégories qui avaient été ébauchées auparavant. En outre, nous obtenons de bonnes informations quant aux systèmes de représentations des non-usagers et à leurs modes d’élaboration.

A ce titre, l’enquête permet une meilleure connaissance des usagers par intermédiaires, notamment sur leurs rapports aux autres, leurs attentes et la construction de leurs systèmes de références.

D’autre part, les chiffres concernant les abandonnistes sont plus importants que les résultats antérieurs donnaient à voir. Cela fait écho à la question du drop out qui commence à émerger dans la littérature.... Peut-être une nouvelle piste à explorer ?

Concernant les réfractaires, la non-utilité n’est pas l’unique raison mais elle se combine le plus souvent avec une pluralité d’arguments. En outre, la question économique, comme nous l’avons déjà souligné, demande à être mieux investiguée. Enfin, le rapport entre connaissance et non-usage a été mieux exploité et donne plusieurs alternatives :

o Les non-usagers informés mais qui n’utilisent pas.

o Les non-usagers informés mais qui refusent d’utiliser.

o Les non-usagers non informés.

Il en ressort une complexité dans la configuration du non-usage entre ceux qui n’ont jamais pratiqué et ne connaissent pas, ceux qui connaissent mais ne pratiquent pas, ceux qui pratiquent de loin en loin, ceux qui pratiquent par intermédiaire ou de manière ‘virtuelle’ sans manipuler réellement, ceux qui ont abandonné.

La question de l’accompagnement.

Dans une volonté de rendre opérationnels les résultats obtenus, nous avons une meilleure connaissance des attentes en matière d’accompagnement et d’apprentissage. Sans qu’il y ait réellement de surprises, nous pouvons souligner que les attentes des personnes interrogées s’inscrivent dans des configurations qui leur sont familières et liées à leur quotidien : domicile, proches tels que les parents ou les amis.

Le suspens demeure pour certains indicateurs.

Certains indicateurs restent mal connus.

En premier lieu, l’absence de réponses aux questions ouvertes ne permet pas d’évaluer la capacité des personnes à se projeter. Certes, une majorité des personnes interrogées présentes des connaissances sur la question, notamment par rapport aux usages existants mais peu sont à même d’évaluer leurs besoins.

D’autre part, un travail de distanciation a été mené au cours de l’élaboration de l’enquête afin de sortir de l’approche du non-usage par l’usage. Cependant, à défaut d’adopter des postures hors du champ technologique pour investiguer dans le champ familial ou économique, par exemple, il demeure difficile, d’un point de vue méthodologique, d’aborder la question du non usage sans référence à l’usage.

Au cours de l’initialisation de l’enquête, nous avons évoqué la possibilité de questionner les personnes à partir de leurs activités quotidiennes telles que celles liées à l’éducation des enfants, aux loisirs, à la consommation avec des questions du type : « Quand vous souhaitez avoir des informations sur..., que faites-vous .... » ou lorsque vous souhaitez avoir affaire à tels professionnels comment les contactez-vous ? Pour quoi faire exactement ? Mais une telle approche semble très difficile à mettre en œuvre et surtout demanderait une enquête très lourde si l’on souhaite balayer tous les postes d’activités des ménages/individus. A moins de faire des choix par catégories d’activités.

Enfin, le questionnaire en l’état n’a pas pu donner des résultats sur la manière de mesurer la familiarité que les non-usagers et la gamme de profils que nous venons de présenter entretiennent avec Internet...Il s’agit peut-être là de constater les limites de cette démarche et d’effectuer un retour à des démarches qualitatives, voire expérimentales.


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Notes

[1Les données statistiques disponibles regroupent Kérourien et le Valy Hir, un quartier voisin ; ils sont tous les deux situés dans la zone dite de la rive droite de Brest.

[2Nous entendons par enquête participative une enquête à laquelle a été associé un groupe d’habitants qui a pu ainsi participer aux différentes phases, de la conception en passant par la passation et le traitement des données. Les résultats ont été ensuite présentés devant différents acteurs locaux. La méthode employée s’est inspirée d’une expérience menée en région parisienne dans le cadre d’un atelier santé-ville communal mené à Dugny et Blanc Mesnil en 2006. Elle consiste en 4 Co : concertation, Co-réflexion, Co-décision et co-mise en œuvre.

[3Jullien N. et Tremenbert J., Enquête usage des TIC par les Bretons. Synthèse de l’enquête 2005 auprès des résidentiels. Op.cit.

[4Laborde A. et Soubiale N., « Etude Non Internautes Aquitains. 1ère synthèse des résultats », 2007. www.non-internautes-aquitains.com/pdf/1ersresultats.pdf

[5AWT, « Usages TIC 2007 des citoyens wallons », juillet 2008.

[6Phénomène de « drop-out » déjà identifié aux Etats-Unis et en cours de caractérisation dans la Recherche sur les Étudiants de Bretagne et Internet. REBI est un PRIR (Programme de recherche d’initiative régionale) CREAD-ENSTB-M@RSOUIN, financé par le Conseil Régional de Bretagne. Il porte sur les représentations, les processus d’appropriation et les usages d’Internet des étudiants inscrits à l’université. REBI est la partie française d’une recherche comparative internationale (INTER) qui se déroule dans quatre pays culturellement et socialement contrastés (Canada, Suède, Mexique et France).

[7Il est difficile de rapporter cet effectif au nombre total de non utilisateurs âgés de 15 ans ou plus sur le quartier. Nous pouvons juste préciser que selon le recensement de 1999, la ZUS de Kérourien comptait 1373 résidences principales et 3486 personnes (qu’elles soient utilisatrices ou non, âgées de 15 ans et plus ou non).

[8La zone regroupe près de 2000 personnes âgées de 20 ans et plus dont les plus de 60 ans représentent 23 % de la population totale.

[9La population issue de l’immigration est assez peu importante, selon le dernier recensement général de 1999, il y aurait moins de 500 personnes sur l’ensemble de la zone Kérourien-Valy Hir.

[10« France : Les abonnés à Internet », Le journal du Net, 02/06/2008. http://www.journaldunet.com/cc/01_internautes/inter_abonne_fr.shtml, consulté le 12 août 2008 à 16 :05.

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