Une étude sur les pratiques de consommation de vidéos sur Internet

, par Raphaël Suire, Sylvain Dejean, Thierry Pénard

Cette note de synthèse [1] présente les principaux résultats d’une enquête sur la consommation de vidéos (plus largement sur la consommation de contenus audio-visuels) sur Internet, menée par Marsouin en 2008, auprès d’un échantillon de 2 000 personnes, représentatif de la population en Bretagne [2].

Principaux enseignements :

 La consommation de vidéos sur l’Internet (en streaming ou en téléchargement) est un phénomène générationnel, avec un clivage fort entre les jeunes internautes, consommateurs réguliers de vidéo en ligne et les internautes plus âgés, qui dans leur grande majorité ne consomment aucune vidéo sur Internet. Les contenus les plus regardés sont les clips musicaux et les vidéos humoristiques, généralement sur des sites de partage du type YouTube et Dailymotion. Les films et séries sont surtout consommés par les utilisateurs des réseaux Peer-to-Peer (P2P).

 Il existe une forte complémentarité entre les consommations de contenus audio-visuels sur l’Internet et les consommations hors Internet (cinéma, DVD loué et/ou acheté). Les individus qui téléchargent des vidéos sur les réseaux P2P sont également ceux qui achètent le plus de DVD.

 Enfin, les utilisateurs de réseaux P2P se caractérisent par une disposition à payer plus élevée que les autres internautes pour une offre légale de vidéos en ligne, adaptée à leurs besoins.

1. Typologie des consommations vidéo en ligne

Sur les 2 000 personnes interrogées dans l’enquête Marsouin, 61% déclarent avoir utilisé Internet dans les trois derniers mois. Mais, plus de deux tiers des internautes (67%) n’ont aucune pratique de consommation de vidéos sur Internet, comme par exemple regarder des vidéos en streaming sur des sites Internet du type TF1.fr, YouTube ou Dailymotion ou bien télécharger des vidéos sur des réseaux P2P ou des plateformes légales de vidéo à la demande (Figure 1). Parmi les consommateurs de vidéo sur Internet, 45% sont des utilisateurs réguliers (plus d’une fois par semaine) contre 55% d’utilisateurs occasionnels.

La consommation de vidéo sur Internet est une pratique très générationnelle, avec un fort clivage entre les jeunes internautes, consommateurs réguliers de vidéos en ligne et les internautes plus âgés, qui dans leur grande majorité ne consomment aucune vidéo en ligne (Figure 2). Ainsi, 76% des internautes de moins de 20 ans regardent des vidéos en ligne (48% au moins une fois par semaine) contre seulement 24% pour les 30-40 ans et 16% pour les plus de 50 ans.

Parmi les individus qui regardent des vidéos sur l’Internet, 64% déclarent connaître et utiliser les sites de partage vidéo comme Youtube et Dailymotion, 35% utiliser les sites des médias traditionnels (TF1.fr, FranceTélévision, ...) et 21 % utiliser les réseaux peer-to-peer (Figure 3). La Vidéo à la demande (VOD) et les WebTV constituent des usages encore marginaux.

La figure 4 présente la nature des vidéos regardées sur Internet. Les contenus les plus consommés en ligne sont les clips vidéos. Huit consommateurs de vidéos sur 10 a déjà visionné un clip, généralement sur des sites de partage comme YouTube ou sur des sites de radios FM ou de Webradios. Les formats des clips se prêtent assez bien à une consommation en ligne (offre abondante de clips de courte durée). Viennent ensuite les vidéos humoristiques que l’on trouve principalement sur les sites de partage Youtube et Dailymotion. Comme pour les clips musicaux, ce type de vidéos est généralement de courte durée et de qualité incertaine, mais avec une offre pléthorique. Les films et séries arrivent en troisième et cinquième positions des contenus les plus regardés sur l’Internet (respectivement 48% et 40% des consommateurs de vidéos sur l’Internet). Contrairement aux précédents, leurs durées plus longues imposent une qualité de visionnage supérieure. Ce type de consommation est prédominant chez les utilisateurs des réseaux P2P.

Les usages vidéos en ligne interfèrent inévitablement avec les consommations audio-visuelles hors Internet (cinéma, DVD, télévision). La figure 5 témoigne de la forte complémentarité entre la consommation de vidéo sur l’Internet d’une part et la fréquentation des salles de cinéma et le nombre de DVD regardés d’autre part. 40% des individus qui vont au cinéma au moins une fois par mois regardent des vidéos sur Internet contre 17% pour ceux qui ne vont jamais au cinéma. Le même constat s’applique pour le nombre de DVD regardés. Ceux qui regardent un DVD par semaine, sont 4 fois plus nombreux (29%) à regarder régulièrement des vidéos en ligne, que ceux qui regardent moins d’un DVD par mois (7%). La figure 5 montre toutefois qu’il ne semble pas exister de complémentarité entre le temps passé à regarder la télévision et la fréquence de visionage de vidéo sur l’Internet.

2. Télécharger plus pour consommer plus.

Les débats autour de la loi « Création et Internet » ou « loi Hadopi » du nom de l’autorité de régulation censée contrôler la diffusion et la protection des œuvres numériques sur l’Internet, mettent en avant la nécessité de lutter contre les internautes adeptes des réseaux P2P. Qualifiés de « pirates » et de radins , ces internautes téléchargeurs auraient tendance à substituer du contenu légal payant par du contenu illégal gratuit et seraient les premiers responsables de la crise que connaissent actuellement les industries culturelles. Les résultats de notre enquête donnent une vision un peu différente des choses. Les individus qui ont déclaré avoir déjà téléchargé un bien culturel sur un réseau P2P consomment en moyenne plus de contenu audiovisuel payant que les internautes qui déclarent simplement regarder des vidéos sur l’Internet (sans aller sur les réseaux P2P) (Figure 6). Il paraît donc pour le moins excessif de qualifier les utilisateurs de P2P de « pirates » ou de « radins » dès lors que leurs pratiques de consommations payantes se révèlent en moyenne supérieures au reste des internautes.

3. Plutôt payer que pirater

La mise en place d’une offre légale payante de vidéos comme alternative aux téléchargements illégaux sur les réseaux P2P se heurte inévitablement à la question du consentement à payer des adeptes du P2P. Encore une fois les réponses (Figure 7) vont à l’encontre des arguments qui assimilent téléchargeurs et pirates.

Les individus qui utilisent les réseaux P2P sont plus nombreux à se déclarer prêt à payer plus cher leur abonnement Internet en échange de services adaptés. Parmi les services proposés, la possibilité d’avoir accès à des programmes inédits, de pouvoir revoir des émissions de télévision et de voir plus rapidement les films après leurs sorties en salle apparaissent comme les services les plus plébiscités par les utilisateurs de P2P. Concernant le mode de paiement privilégié par les internautes qui regardent des vidéos sur l’Internet, les utilisateurs de réseaux P2P se démarquent des autres internautes. Les adeptes du P2P sont 27,4% à préférer payer par avance un forfait qui permette d’accéder à autant de vidéos que souhaités contre seulement 16,5% chez ceux qui ne téléchargent pas sur les réseaux P2P (Figure 8).

L’un des atouts des communautés de partage de fichiers est effectivement la possibilité donnée aux utilisateurs d’avoir accès à un catalogue d’œuvres numériques très étendu, sans ligne éditoriale imposée et perpétuellement enrichi par les consommateurs eux-mêmes. Il s’ensuit un modèle économique où les utilisateurs prennent l’habitude de gérer l’abondance de l’offre en sélectionnant eux-mêmes les œuvres qu’ils consomment (modèle pull). Cette organisation s’oppose directement au modèle push traditionnel dans lequel les industries culturelles sélectionnent eux-mêmes les œuvres qui feront l’objet d’une diffusion ou d’une commercialisation de masse.

En manifestant leur préférence pour un mode de paiement forfaitaire et un accès illimité à un catalogue de fichiers numériques, les utilisateurs des réseaux P2P montrent une nouvelle fois la nécessité d’adapter l’offre de contenus aux nouveaux comportements de consommation. Les résultats de cette enquêtes incitent également à reconsidérer les modes de financement du type « licence globale » peut être trop vite abandonnés.

Notes

[1Sylvain.dejean, thierry.penard, raphael.suire, @univ-rennes1.fr

Cet article est une version préliminaire d’une étude économétrique en cours de réalisation et qui sortira au début de l’année 2009

[2Cette étude a été menée dans le cadre du projet P2Pimage du Pôle de Compétitivité Image et Réseaux, financé par la Région Bretagne

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