De l’injonction à la créativité à sa mise en œuvre : quel parallèle entre monde de l’art et monde productif ? Appel à communication : Colloque International Nantes (MSH) 9-10 Avril 2015

, par Anne France Kogan, Emilie Huiban

De l’injonction à la créativité à sa mise en œuvre : quel parallèle entre monde de l’art et monde productif ?

Observateurs attentifs et analystes du monde du travail depuis de nombreuses années, nous avons pu constater la présence de plus en plus forte de l’appel à la créativité dans les discours managériaux, qu’ils soient prononcés pour présenter une stratégie, valoriser l’organisation ou accompagner une politique en matière de ressources humaines. Cela n’est sans doute pas sans lien avec la diffusion du numérique qui est au cœur d’une dynamique de changement permanent (Metzger, 2011). Celle-ci conduit à transformer les métiers, les organisations et les filières, mais dont les modalités restent à inventer. L’injonction à la créativité serait-elle alors le nouvel impératif managérial nécessaire à concrétiser cette dynamique ?

De plus, l’usage du numérique rend le contenu du travail encore plus abstrait et ouvre vers de nouvelles possibilités d’activité, de nouvelles formes d’organisation et d’interactions avec le marché. Il devient dès lors plus difficile de caractériser le travail, de l’anticiper et enfin de l’évaluer. L’injonction à la créativité des salariés serait-elle alors mobilisée pour remédier à ces difficultés ? Peut-être s’agit-il, comme le déclame quelques gourous, de l’avènement d’une nouvelle économie qui, opposée à l’économie traditionnelle (ressources naturelles et capital financier), serait basée sur l’innovation, la créativité et la connaissance ?

Le développement et le succès des industries culturelles pourraient être aussi à l’origine de cette injonction à la créativité dans d’autres secteurs productifs. Ceux-ci constitueraient alors ces industries créatives qui deviendraient le modèle à suivre pour innover et accéder à de nouveaux marchés. Cependant, la mise en équivalence entre industries culturelles et industries créatives est artificielle et mérite approfondissement (Bouquillion et al., 2013). En effet, l’oligopole à franges qui caractérise les industries culturelles (Benhamou, 2000) permet aux quelques grandes firmes de profiter du potentiel créatif qui s’exprime avant tout dans la multitude de petites entreprises de ce secteur. Cependant, l’existence de cette multitude de petites entreprises fragiles, qui se montent le plus souvent autour d’un projet ponctuel, sur le marché peu protégé des idées reste très spécifique au secteur culturel (Paris, 2010). Cette particularité peut-elle se retrouver dans des entreprises d’autres secteurs ? Comment s’opère alors la dynamique créative dans des secteurs plus traditionnels où les nouveaux entrants sont rares ? Peut-elle alors rester interne à l’entreprise ?

La créativité est surtout associée au monde de la culture, aux œuvres artistiques, à l’imagination, à l’inventivité, au talent et à la virtuosité propre aux artistes. Cependant ceux-ci évoluent dans un monde de contraintes, sont en forte concurrence sur un marché, mobilisent les outils numériques, etc. Comment cela s’intègre dans les pratiques des artistes ? Les spécificités des activités de création, comme l’importance du risque et de la dimension construite de la valeur des produits, sont-elles revisitées par le numérique ? Internet et ses potentialités de diffusion et de médiation numériques avec les publics transforment également le travail de l’artiste, qu’en est-il ?

Ce colloque aura pour objectif d’y regarder d’un peu plus près : il permettra de nous interroger sur cette injonction à la créativité : au-delà du discours, qu’est-ce qu’être créatif au travail ? Quel est le rôle du numérique dans cette évolution, et comment les possibilités et contraintes du numérique opèrent sur le travail des artistes ?

Autrement dit, il s’agira d’interroger l’hypothèse proposée par (Menger, 2002) à savoir que non seulement les activités de création artistique ne sont pas ou plus l’envers du travail, mais qu’elles sont au contraire de plus en plus revendiquées comme l’expression la plus avancée des nouveaux modes de production et des nouvelles relations d’emploi engendrés par les mutations récentes du capitalisme. Dans ce débat sur l’art et la culture, comme principe de fermentation du capitalisme (Boltanski et Chiapello, 1999), nous n’interrogerons pas ici les relations d’emploi mais l’activité même du travail, qu’il soit artistique ou non.

Cette mise en perspective du monde de l’art et de la culture d’une part, et du travail en entreprise d’autre part, permettra de mieux appréhender les dimensions individuelles et collectives de la créativité. Il apparaît difficile d’être créatif au travail sans considérer le collectif. Dans la gestion de projet, le déploiement des méthodes agiles serait-il le nouvel apanage des managers pour articuler ces deux dimensions ?

D’autre part, Howard S. Becker regarde l’art comme « un travail, en s’intéressant plus aux formes de coopération mises en jeu par ceux qui réalisent les œuvres qu’aux œuvres elles-mêmes ou à leurs créateurs au sens traditionnel » (Becker, 1988 (1982) : 21). Or, du fait de son caractère éclaté, valorisant l’acte unique, faisant souvent l’objet de déni de son caractère organisé, hiérarchique et parfois conflictuel, le travail artistique est difficile à saisir dans ses dimensions collectives (Buscato, 2008). La notion de créativité ne permet-elle pas de jouer de la confusion entre ses deux dimensions : individuelle et collective ?

Nous proposons quatre axes pour aborder cette question :


Axe 1 : Interroger le caractère hégémonique du discours sur la créativité

Cette référence créative, devenue depuis la fin des années 1990 l’un des maîtres mots des politiques publiques et des stratégies des entreprises, est mobilisée d’une manière systématique et souvent confuse : peut-on parler d’une idéologie ? S’agit-il de masquer les profondes tensions au cœur de l’activité économique, s’agit-il d’une nouvelle incantation pour « ré-enchanter » le travail ?

Axe 2 : Interroger une possible mise en œuvre de cette « injonction à la créativité »

Il s’agira d’évoquer les conditions de la mise en œuvre de la créativité, à travers les plates-formes numériques, de nouveaux services, différentes innovations de produits, process, etc. Les innovations se font, soit au sein d’organisations existantes, soit, et de plus en plus, en incorporant des pratiques amateurs pour les adapter aux exigences des organisations marchandes. Cette injonction traduit surtout le fait de renvoyer au niveau individuel une démarche d’innovation qui est, en réalité, largement collective.

Axe 3 : Interroger l’éventuel paradoxe de l’organisation de la création

Quand les entreprises veulent innover, elles sollicitent le potentiel créatif de leurs salariés. Cependant, l’innovation s’inscrit dans une organisation et concerne une pluralité d’acteurs. Comment passe-t-on d’une démarche individuelle à l’innovation ? La spécificité des industries culturelles peut-elle se retrouver dans des entreprises d’autres secteurs ? Quelle place les grandes entreprises accordent-elles au risque inhérent à la création ?

Axe 4 : Le statut et le travail d’artiste revisités par le numérique

Cet axe interroge en quoi le numérique permet-il d’être créatif, comment les nouveaux outils numériques exigent de nouvelles compétences pour les artistes. Effectivement, le numérique impose de nombreuses exigences aux artistes et aux salariés : travailler dans l’urgence, posséder des compétences techniques spécifiques, se former sans cesse, savoir maîtriser sa mise en visibilité en ligne, etc.

Ce colloque proposerait donc d’interroger la référence créative dans deux domaines qui n’ont pas l’habitude de se côtoyer dans les études actuelles : la sphère productive et le monde de la culture, tout en y mettant le focus sur les bouleversements et les paradoxes liés au numérique.

Références indicatives

ALTER N., 2000, L’innovation ordinaire, PUF, 278 p.

AUBERT N., 2003, Le culte de l’urgence. La société malade du temps, Flammarion, 375 p.

BECKER H. S. (1988), Les mondes de l’art, Paris, Flammarion.

BENHAMOU F., 2000, L’Economie de la culture, Paris, Editions la Découverte.

BOLTANSKI L. et CHIAPELLO E. (1999), Le nouvel esprit du capitalisme, Ed. Gallimard.

BOUQUILLION, P., MIEGE, B., MOEGLIN, P. (2013) : L’industrialisation des biens symboliques. Les industries créatives en regard des industries culturelles, Grenoble, Pug.

BUSCATTO M. (2008), « L’art et la manière », in L’art au travail, Ethnologie française, 38 (1), p. 5-13

GORZ A., 2004, « Économie de la connaissance, exploitation des savoirs ». Entretien avec Carlo Vercelone et Yann Moulier Boutand, Multitudes, 2004/1 n°15, pp205-216.

MENGER P.-M. (2002), Portrait de l’artiste en travailleur, Ed. du Seuil.

METZGER Jean-Luc, 2011, « TIC et travail : de l’étude des usages à la critique de l’impératif du changement » in Communiquer à l’ère numérique. Regards croisés sur la sociologie des usages. J. Denouël et F. Granjon (dir.). Presses des Mines. pp91-125

PARIS T., 2010, « Des industries culturelles aux industries créatives : un changement de paradigme salutaire ? », tic&société, vol.4, no°2.

SAINT LAURENT-KOGAN (de) A-F et METZGER J-L (sous la dir.), (2007), Où va le travail à l’ère du numérique ? Presses des Mines de Paris. Coll. Sciences sociales. Paris.

Soumission d’une proposition :

Toute proposition de communication devra être envoyée au plus tard le 9 Janvier 2015, aux deux adresses suivantes :
anne-france.kogan@mines-nantes.fr et yanita.andonova@gmail.com

L’objet du courriel sera intitulé : Proposition Valeurs Avril 2015

Les propositions de communication feront l’objet d’une évaluation en « double aveugle » par les membres du comité scientifique, dont la décision sera rendue le 15 février 2015.

La proposition devra être rédigée en français et doit comporter les éléments suivants :

Première page :

  le titre de votre communication

  un résumé (10 lignes maximum) en format Times New Roman, caractère 12, interligne simple

  5 mots-clés

  Nom et prénom du/des auteur(s), institution de rattachement, adresse postale, numéro de téléphone, courrier électronique

Deuxième page (anonyme) :

  le texte de la proposition doit comporter 5 000 caractères (espaces compris) en format Times New Roman, caractère 12, interligne simple

  un plan de communication

  une bibliographie (1 page maximum)

Publication

Une publication est envisagée des meilleurs textes présentés lors du colloque sous la forme d’un numéro spécial de revue ou d’un ouvrage. Des précisions concernant cette publication seront communiquées ultérieurement.

Calendrier :

Date limite d’envoi des propositions 9 Janvier 2015

Décision du comité scientifique 15 février 2015

Programme définitif du colloque Mars 2015

Tenue du colloque 9-10 Avril 2015

Responsables scientifiques :

Anne-France KOGAN, Ecole des Mines de Nantes, LEMNA, GER Lilith

Yanita ANDONOVA, Université Paris 13, LabSIC, GER Lilith

Comité d’organisation :

Anne-France KOGAN

Yanita ANDONOVA

Lucile LE CLAIRE

Comité scientifique :

ANDONOVA Yanita, Universités Paris 13, LabSIC

BOLDRINI Jean-Claude, Université de Nantes, LEMNA

BOUILLON Jean-Luc, Université Rennes 2, Prefics

BOUQUILLION Philippe, Universités Paris 13, LabSIC

CORMERAIS Franck, Université Bordeaux-Montaigne, MICA,

FOURMENTRAUX Jean-Paul, Université Aix-Marseille, LESA & CRAL EHESS

GAUZENTES Claire, Université de Nantes, LEMNA

KOGAN Anne-France, Institut Mines-Telecom, Nantes, LEMNA

LEGENDRE Bertrand, Universités Paris 13, LabSIC

MARCOTTE Pascale Marcotte, Université du Québec à Trois-Rivières

METZGER Jean-Luc, Orange SENSE

PAILLER Danielle, Université de Nantes, LEMNA

PARIS Thomas, HEC Paris, CRG

PECAUD Dominique, Université de Nantes, LEMNA

SAGOT-DUVEROUX Dominique, Université d’Angers, GRANEM

SCHIEB-BIENFAIT Nathalie, Université de Nantes, LEMNA

RAICHVARG Daniel, Université de Bourgogne, CIMEOS

VIDAL Geneviève, Universités Paris 13, LabSIC