Comportements des internautes en matière de piratage face à la loi Hadopi et la riposte graduée Un nouvel article issu du projet de recherche ADAUPI

, par Eric Darmon, Michael A Arnold, Sylvain Dejean, Thierry Pénard

Dans le cadre du projet M@rsouin ADAUPI (Analyse des décisions, attitudes et usages du piratage sur Internet), Michael A. Arnold, Éric Darmon, Sylvain Dejean et Thierry Pénard ont publié un nouveau papier de recherche, en anglais.

En voici un résumé en français :
« Cette étude cherche à savoir si l’Hadopi a eu un effet dissuasif sur les
comportements de téléchargement illégal des internautes français. Pour
rappel, l’Hadopi a mis en place un dispositif de réponse graduée qui
consiste à envoyer trois avertissements aux internautes ayant partagé
illégalement des contenus numériques sur les réseaux Peer-to-Peer, une
sanction pouvant intervenir après le troisième avertissement. En s’appuyant sur les travaux en économie du crime, les auteurs montrent que d’un point de vue théorique la probabilité perçue par l’internaute d’être détecté par l’hadopi n’a pas d’effet sur la décision de télécharger
illégalement sur les réseaux P2P (tant qu’il n’a pas reçu plus de deux
avertissements), mais peut diminuer l’intensité de cette activité. A
partir d’une enquête effectuée auprès de 2000 internautes (représentatif
de la population francaise), les auteurs montrent que conformément aux
prédictions théoriques, la loi Hadopi ne dissuade pas les pirates de
s’engager dans le téléchargement illégal sur les réseaux Peer-to-Peer.
Ils montrent également l’existence d’ « effets informationnels »
permettant aux pirates les mieux informés sur la loi de se tourner vers
des pratiques alternatives comme le téléchargement direct (cyberlockers)
ou les newsgroups. »

Le projet ADAUPI, financé par la région Bretagne dans le cadre d’un projet Structurant du Gis m@rsouin, a déjà fait l’objet d’un certain nombre de publications. Nous rappelons ici quelques jalons de ce projet.

Les premières publications s’appuyaient sur des données issues de l’enquête M@rsouin 2009 sur les usages numériques des Bretons (à partir d’un échantillon représentatif de la population bretonne).

L’enquête avait été menée quelques mois après le vote de la loi et le débat public qu’elle a suscité, mais avant la mise en œuvre du dispositif de riposte graduée. Les premiers résultats de cette enquête avaient déjà montré qu’avant même son application, les internautes avaient développé des manières alternatives au peer-to-peer pour accéder illégalement à du contenu culturel.

À partir de ces mêmes données d’enquête, Sylvain Dejean, Thierry Pénard et Raphaël Suire avaient publié un article sur le consentement à payer pour des offres de contenus audiovisuels sur Internet, et sur les alternatives légales au piratage de contenus culturels [1].

À partir d’entretiens qualitatifs auprès d’internautes qui téléchargent, Karine Roudaut avait publié un article sur le paradoxe de la pratique du téléchargement illégal, sanctionnée par la loi, mais non déviante au sens sociologique du terme (« La consommation et le partage illégal de biens culturels : L’exemple du téléchargement, une pratique sanctionnée par le droit, une activité courante normale »).

Les travaux issus du projet de recherche ADAUPI ont connu un fort écho médiatique et ils ont donné l’occasion aux chercheurs concernés d’échanger avec des acteurs impliqués dans la réflexion sur l’orientation des politiques culturelles. Ainsi, en novembre 2012, les chercheurs M@rsouin avaient présenté leurs travaux aux membres de la mission Lescure lors d’une conférence débat dans la cadre de la révision de la loi Hadopi, à la Faculté des Sciences Économiques de l’Université Rennes 1
Des représentants de la Hadopi (Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet) ont également participé au 11e séminaire M@rsouin, en mai 2013 à Saint-Malo.

Avec le Workshop "Digital Piracy in Cultural Industries : Understanding and Assessing Policy and Business Responses" organisé à Rennes les 24 et 25 octobre dernier, et l’article publié ces derniers jours, les résultats du projet ADAUPI sont maintenant mis en perspective avec des recherches menées sur les politiques de lutte contre le piratage de produits culturels dans d’autres pays.

D’autres publications, en français, à partir de l’enquête de 2012 spécifiquement dédiée au piratage :

— un état des lieux des pratiques légales et illégales en ligne : la montée du piratage de proximité

— une étude de la perception de l’Hadopi par les internautes français

— un focus sur la méconnaissance de la loi par les internautes français

Voir en ligne : http://crem.univ-rennes1.fr/wp/2014...

P.-S.

10 avril 2014 : Sylvain Dejean et Raphaël Suire viennent de publier un nouvel article, en anglais, s’appuyant sur les données de l’enquête de 2012.

Dans cet article, ils montrent que la sanction exercée par l’Hadopi sur le téléchargement a conduit au renforcement de certaines formes de partage illégal de contenus culturels, comme le partage hors ligne (par clés USB, etc.) qui devient le principal mode d’échange illégal de fichiers numériques. L’organisation sociale qui régit ces formes de partage illégal possède certaines similarités avec d’autres activités criminelles comme le marché de la drogue. Comme dans d’autres contextes de prohibition de biens et services, l’interdiction du téléchargement illégal conduit à l’émergence d’un marché noir.

Les auteurs mettent en évidence trois types de position dans ce réseau d’échange illégal hors ligne et notamment, la figure du grossiste qui donne bien plus de fichiers qu’il n’en reçoit et sur qui la loi Hadopi n’a pas d’effet. À l’opposé, le simple consommateur ne télécharge jamais de fichiers illégalement par crainte de la sanction de l’Hadopi. Contrairement à d’autres types de marché noir, c’est dans ce contexte particulier la reconnaissance symbolique qui rétribue les « grossistes » qui partagent ces fichiers.

L’Hadopi est impuissante à réguler ces formes de piratage qui échappent à sa surveillance.

Ce travail a fait l’objet d’une présentation lors du 11e séminaire M@rsouin, en mai 2013 à Saint-Malo, en présence de représentants de l’Hadopi.

Lien vers l’article : http://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=2422933